Il neige, il neige, et là devant l'église, Une vieille prie à genoux. Sous ses haillons où s'engouffre la bise, C'est du pain qu'elle attend de nous. Seule, à tâtons, au parvis Notre-Dame, Elle vient, hiver comme été ; Elle est aveugle, hélas ! la pauvre femme, Ah ! faisons-lui la charité. Savez-vous bien ce que fut cette vieille Au teint hâve, aux traits amaigris ? D'un grand spectacle autrefois la merveille, Ses chants ravissaient tout Paris. Les jeunes gens, dans le rire et les larmes, S'exaltaient devant sa beauté. Tous, ils ont dû des rêves à ses charmes. Ah ! faisons-lui la charité. Combien de fois, s'éloignant du théâtre, Au pas de ses chevaux, Elle entendit une foule idolâtre La poursuivre de ses bravos ! Pour l'enlever au char qui la transporte, Pour la rendre à la volupté, Que de rivaux l'attendaient à sa porte ! Ah ! faisons-lui la charité. Quand tous les arts lui tressaient des couronnes, Qu'elle avait un pompeux séjour ! Que de cristaux, de bronzes, de colonnes ! Tributs de l'amour à l'amour. Dans ses banquets, que de muses fidèles Au vin de sa prospérité ! Tous les palais ont leurs nids d'hirondelles. Ah ! faisons-lui la charité. Revers affreux ! un jour la maladie Éteint ses yeux, brise sa voix : Et bientôt seule et pauvre elle mendie Où, depuis vingt ans, je la vois. Aucune main n'eut mieux l'art de répandre Plus d'or, avec plus de bonté, Que cette main qu'elle hésite à nous tendre, Ah ! faisons-lui la charité. Le froid redouble ; ô douleur ! ô misère ! Tous ses membres sont engourdis. Ses doigts ont peine à tenir le rosaire Qui l'eût fait sourire jadis. Sous tant de maux, si son coeur tendre encore Peut se nourrir de piété ; Pour qu'il ait foi dans le ciel qu'elle implore. Ah ! faisons-lui la charité.
Six romances populaires de P. J. Béranger
Song Cycle by Edouard Lalo (1823 - 1892)
1. La pauvre femme  [sung text checked 1 time]
Authorship:
- by Pierre Jean de Béranger (1780 - 1857), "La pauvre femme", appears in Chansons nouvelles et dernières
Go to the single-text view
Researcher for this page: Ferdinando Albeggiani2. Beaucoup d'amour  [sung text not yet checked]
Malgré la voix de la sagesse, Je voudrais amasser de l'or : Soudain aux pieds de ma maîtresse J'irais déposer mon trésor. Adèle, à ton moindre caprice Je satisferais chaque jour. Non, non, je n'ai point d'avarice, Mais j'ai beaucoup, beaucoup d'amour. Pour immortaliser Adèle, Si des chants m'étaient inspirés, Mes vers, où je ne peindrais qu'elle, A jamais seraient admirés. Puissent ainsi dans la mémoire Nos deux noms se graver un jour ! Je n'ai point l'amour de la gloire, Mais j'ai beaucoup, beaucoup d'amour. Que la Providence m'élève Jusqu'au trône éclatant des rois ; Adèle embellira ce rêve : Je lui céderai tous mes droits. Pour être plus sûr de lui plaire, Je voudrais me voir une cour. D'ambition je n'en ai guère, Mais j'ai beaucoup, beaucoup d'amour. Mais quel vain desir m'importune? Adèle comble tous mes vœux. L'éclat, le renom, la fortune, Moins que l'amour rendent heureux. A mon bonheur je puis donc croire, Et du sort braver le retour! Je n'ai ni bien, ni rang, ni gloire, Mais j'ai beaucoup, beaucoup d'amour.
Authorship:
- by Pierre Jean de Béranger (1780 - 1857), "Beaucoup d'amour"
See other settings of this text.
Researcher for this text: Emily Ezust [Administrator]3. Le suicide  [sung text not yet checked]
Quoi ! morts tous deux ! dans cette chambre close Où du charbon pèse encor la vapeur ! Leur vie, hélas ! était à peine éclose. Suicide affreux ! triste objet de stupeur ! Ils auront dit : Le monde fait naufrage : Voyez pâlir pilote et matelots. Vieux bâtiment usé par tous les flots, Il s’engloutit : sauvons-nous à la nage. Et vers le ciel se frayant un chemin, Ils sont partis en se donnant la main. Pauvres enfants ! l’écho murmure encore L’air qui berça votre premier sommeil. Si quelque brume obscurcit votre aurore, Leur disait-on, attendez le soleil. Ils répondaient : Qu’importe que la sève Monte enrichir les champs où nous passons ! Nous n’avons rien : arbres, fleurs, ni moissons. Est-ce pour nous que le soleil se lève ? Et vers le ciel se frayant un chemin, Ils sont partis en se donnant la main. Pauvres enfants ! calomnier la vie ! C’est par dépit que les vieillards le font. Est-il de coupe où votre âme ravie, En la vidant, n’ait vu l’amour au fond ? Ils répondaient : C’est le rêve d’un ange. L’amour ! en vain notre voix l’a chanté. De tout son culte un autel est resté ; Y touchions-nous ? l’idole était de fange. Et vers le ciel se frayant un chemin, Ils sont partis en se donnant la main. Pauvres enfants ! mais les plumes venues, Aigles un jour, vous pouviez, loin du nid, Bravant la foudre et dépassant les nues, La gloire en face, atteindre à son zénith. Ils répondaient : Le laurier devient cendre, Gendre qu’au vent l’Envie aime à jeter ; Et notre vol dût-il si haut monter, Toujours près d’elle il faudra redescendre. Et vers le ciel se frayant un chemin, Ils sont partis en se donnant la main. Pauvres enfants ! quelle douleur amère N’apaisent pas de saints devoirs remplis ? Dans la patrie on retrouve une mère, Et son drapeau nous couvre de ses plis. Ils répondaient : Ce drapeau qu’on escorte Au toit du chef, le protège endormi ; Mais le soldat, teint du sang ennemi, Veille, et de faim meurt en gardant la porte. Et vers le ciel se frayant un chemin, Ils sont partis en se donnant la main. Pauvres enfants ! de fantômes funèbres Quelque nourrice a peuplé vos esprits. Mais un Dieu brille à travers nos ténèbres ; Sa voix de père a dû calmer vos cris. Ah ! disaient-ils, suivons ce trait de flamme. N’attendons pas, Dieu, que ton nom puissant, Qu’on jette en l’air comme un nom de passant, Soit, lettre à lettre, effacé de notre âme. Et vers le ciel se frayant un chemin, Ils sont partis en se donnant la main. Dieu créateur, pardonne à leur démence. Ils s’étaient faits les échos de leurs sons, Ne sachant pas qu’en une chaîne immense, Non pour nous seuls, mais pour tous, nous naissons. L’humanité manque de saints apôtres Qui leur aient dit : Enfants, suivez sa loi. Aimer, aimer, c’est être utile à soi ; Se faire aimer, c’est être utile aux autres. Et vers le ciel se frayant un chemin, Ils sont partis en se donnant la main.
Authorship:
- by Pierre Jean de Béranger (1780 - 1857), "Le suicide", subtitle: "Sur la mort des jeunes Victor Escousse et Auguste Lebras", written 1832
Go to the single-text view
Confirmed with Pierre-Jean de Béranger, Œuvres complètes de Béranger, Paris, H. Fournier, 1839, Book three, pages 115-117. Under the subtitle: "Air d’Agéline (de Wilhem) ou du Tailleur et la Fée".
Researcher for this text: Emily Ezust [Administrator]
4. Si j'étais petit oiseau  [sung text not yet checked]
Moi qui, même auprès des belles, voudrais vivre en passager, que je porte envie aux ailes de l'oiseau vif et léger ! Combien d'espace il visite ! à voltiger tout l'invite: l'air est doux, le ciel est beau. Je volerais vite, vite, vite, si j'étais petit oiseau. C'est alors que Philomèle m' enseignant ses plus doux sons, j'irais de la pastourelle accompagner les chansons. Puis j'irais charmer l'ermite qui, sans vendre l'eau bénite, donne aux pauvres son manteau. Je volerais vite, vite, vite, si j'étais petit oiseau. Puis j'irais dans le bocage, où des buveurs en gaîté, attendris par mon ramage, ne boiraient qu'à la beauté. Puis ma chanson favorite aux guerriers qu'on déshérite ferait chérir le hameau. Je volerais vite, vite, vite, si j'étais petit oiseau. Puis j'irais sur les tourelles où sont de pauvres captifs, en leur cachant bien mes ailes, former des accords plaintifs. L'un sourit à ma visite ; l'autre rêve, dans son gîte, aux champs où fut son berceau. Je volerais vite, vite, vite, si j'étais petit oiseau. Puis, voulant rendre sensible un roi qui fuirait l'ennui, sur un olivier paisible j'irais chanter près de lui. Puis j'irais jusqu'où s'abrite quelque famille proscrite, porter de l'arbre un rameau. Je volerais vite, vite, vite, si j'étais petit oiseau. Puis, jusques où naît l'aurore, vous, méchants, je vous fuirais, à moins que l'amour encore ne me surprît dans ses rets. Que, sur un sein qu'il agite, ce chasseur que nul n' évite me dresse un piège nouveau, j'y volerais vite, vite, vite, si j'étais petit oiseau.
Authorship:
- by Pierre Jean de Béranger (1780 - 1857), "Si j'étais petit oiseau"
See other settings of this text.
Researcher for this text: Emily Ezust [Administrator]5. Le petits coups  [sung text not yet checked]
Maîtres de tous nos désirs, Réglons-les sans les contraindre : Plus l'excès nuit aux plaisirs, Amis, plus nous devons le craindre. Autour d'une petite table, Dans ce petit coin fait pour nous, Du vin vieux d'un hôte aimable Il faut boire (ter) à petits coups. Pour éviter bien des maux, Veut-on suivre ma recette ; Que l'on nage entre deux eaux, Et qu'entre deux vins l'on se mette. Le bonheur tient au savoir-vivre : De l'abus naissent les dégoûts ; Trop à-la-fois nous enivre ; Il faut boire à petits coups. Loin d'en murmurer en vain, égayons notre indigence : Il suffit d'un doigt de vin Pour réconforter l'espérance. Et vous, que flatte un sort prospère, Pour en jouir, modérez-vous ; Car, même dans un grand verre Il faut boire à petits coups. Philis, quel est ton effroi ? La leçon te déplaît-elle ? Les petits coups, selon toi, Sentent le buveur qui chancelle. Quel que soit le désir qui perce Dans tes yeux, vifs comme tes goûts, Du filtre qu'Amour te verse Il faut boire à petits coups. Oui, de repas en repas, Pour atteindre à la vieillesse, Ne nous incommodons pas, Et soyons fous avec sagesse. Amis, le bon vin que le nôtre ! Et la santé, quel bien pour tous ! Pour ménager l'un et l'autre, Il faut boire à petits coups.
Authorship:
- by Pierre Jean de Béranger (1780 - 1857), "Les petits coups"
Go to the single-text view
Confirmed with Pierre-Jean de Béranger, Œuvres complètes de Béranger, Paris, H. Fournier, 1839, volume 1, pages 165-166. Under the title: "Air : Tout ça passe en même temps"
Researcher for this text: Emily Ezust [Administrator]
6. Le vieux vagabond  [sung text checked 1 time]
Dans ce fossé cessons de vivre,
Je finis vieux, infirme et las.
Les passants vont dire: il est ivre!
Tant mieux: Ils ne me plaindront pas.
J'en vois qui détournent la tête;
D'autres me jettent quelques sous.
Courez vite; allez à la fête,
Vieux vagabond, je puis mourir sans vous.
Oui, je meurs ici de vieillesse,
Parce qu'on ne meurt pas de faim.
J'espérais voir de ma détresse
L'hôpital adoucir la fin.
Mais tout est plein dans chaque hospice,
Tant le peuple est infortuné.
La rue, hélas! fut ma nourrice:
Vieux vagabond, mourons où je suis né.
La pauvre a-t-il une patrie?
Que me font vos vins et vos blés,
Votre gloire et votre industrie,
Et vos orateurs assemblés?
Dans vos murs ouverts à ses armes,
Lorsque l'étranger s'engraissait,
Comme un sot j'ai versé des larmes:
Vieux vagabond, sa main me nourrissait.
[ ... ]
Comme un insecte, fait pour nuire,
Hommes, que ne m'écrasiez vous?
Ah! plutôt deviez m'instruire
A travailler au bien de tous.
Mis à l'abri du vent contraire
Le ver fût devenu fourmi;
Je vous aurais chéris en frère:
Vieux vagabond, je meurs votre ennemi.
Authorship:
- by Pierre Jean de Béranger (1780 - 1857), "Le vieux vagabond"
See other settings of this text.
Available translations, adaptations or excerpts, and transliterations (if applicable):
- ENG English (Anonymous/Unidentified Artist)
- ENG English (Sarah Carter Edgarton Mayo)
- ENG English (William Young) , "The old vagabond", appears in Béranger: two hundred of his lyrical poems done into English verse, first published 1850