by Léon-Paul Fargue (1876 - 1947)
Mauvais cœur
Language: French (Français)
– Mauvais cœur… souffle une voix nocturne à l’enfant que j’ai battu jadis, dans un jardin d’automne tout encagé d’or. – Ce fut un jour étrange, en vérité. Le soleil donnait sa langueur à tout. Des conseils d’amour et de mort parlaient par les bruits les plus vagues. On avait envie d’embrasser les beaux enfants qui jouaient dans les parcs, auprès des jolies mères, ou de les frapper… Nous courions sous des arbres très hauts, bien pris dans la lumière, et qui secouaient parfois leurs chaînes de songes, de toute leur taille, à grands bras tristes. … Le vent remuait ses plis lourds pour aller tourner plus tard, ailleurs, une ronde sableuse en forme de crosse, avec un bruit fin qui se calme… Un parti de folioles traînait s’enfuir sur les paumes tièdes de l’air si dense qu’on eût cru le voir... De l’autre côté de la scène, fermé d’une porte épaisse et sombre, une rue pleurait sa chanson mate. Une balançoire qu’on venait de quitter glissait la plainte d’une bête qu’on tourmente... Il n’y avait personne à portée de nos voix, je crois... Le cher enfant. Je le vois encore avec une fixité exquise et terrible, assis sur un banc de pierre, songeur et penché, dans son petit costume marin au béret et à l’ancre d’or, et tel qu’au jour d’angoisse où je frappai sa bonne figure... Je le cherche. Et je pense à lui dans les fêtes qui fermentent, et dans les foules crieuses, et dans les rues grasses, plus longues au loin des baies des lumières, où des ombres rêvent sur les flaques, jambes ployées et jointes, sous le poids d’un souvenir qui leur saute aux épaules comme un mauvais singe.. Il est des pensées qu’on sent qui se cachent derrière toutes les autres. Et il n’en arrive de nouvelles que pour elles, qui bouchent par instants les clairières jaunes où la Mort est lasse de montrer sa figure trouée comme un liège… L’Enfant dérange la nuit chaude… Les yeux de l’orage éclairent sa forme. Il saute sur la grille d’un arbre. Il accourt dans l’odeur d’une avenue plantée d’ailantes où des phalènes battent comme des paupières… Les soirs où je prends ma part d’une fête, j’ai envie de m’enfuir quand j’y pense, de courir dans un quartier pauvre, et d’y souffrir dans un coin sombre... Et il m’arrive de rêver que je le retrouve, homme enfin, noir et bête, abrupt, indolore et cruel – et qu’il est beau, et fort, et riche, dans un endroit de plaisir, avec une cravate indicible, et que mon pauvre vieux remords ne lui arrive pas à l’épaule...
Authorship:
- by Léon-Paul Fargue (1876 - 1947), "Mauvais cœur", written 1912?, appears in Poèmes, Paris, Éd. N.R.F., first published 1912 [author's text not yet checked against a primary source]
Musical settings (art songs, Lieder, mélodies, (etc.), choral pieces, and other vocal works set to this text), listed by composer (not necessarily exhaustive):
- by Guy Sacre (b. 1948), "Mauvais cœur", 1981, published 2013 [ baritone and piano ], Lyon, Édition Symétrie [sung text checked 1 time]
Researcher for this text: Emily Ezust [Administrator]
This text was added to the website: 2014-05-24
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