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by André Gide (1869 - 1951)

La Mère
Language: French (Français) 
Prodigue enfant, dont l'esprit, aux propos de ton frère, regimbe
encore, laisse à présent ton cœur parler. Qu'il t'est doux, à demi
couché aux pieds de ta mère assise, le front caché dans ses genoux, de
sentir sa caressante main incliner ta nuque rebelle !

-- Pourquoi m'as-tu laissée si longtemps ?

Et comme tu ne réponds que par des larmes :

-- Pourquoi pleurer à présent, mon fils ? Tu m'es rendu. Dans
   l'attente de toi j'ai versé toutes mes larmes.

-- M'attendiez-vous encore ?

-- Jamais je n'ai cessé de t'espérer. Avant de m'endormir, chaque
   soir, je pensais : s'il revient cette nuit, saura-t-il bien ouvrir
   la porte ? et j'étais longue à m'endormir. Chaque matin, avant de
   m'éveiller tout à fait, je pensais : Est-ce pas aujourd'hui qu'il
   revient ? Puis je priais. J'ai tant prié, qu'il te fallait bien
   revenir.

-- Vos prières ont forcé mon retour.

-- Ne souris pas de moi, mon enfant.

-- Ô mère ! je reviens à vous très humble. Voyez comme je mets mon
   front plus bas que votre cœur ! Il n'est plus une de mes pensées
   d'hier qui ne devienne vaine aujourd'hui. À peine si je comprends,
   près de vous, pourquoi j'étais parti de la maison.

-- Tu ne partiras plus ?

-- Je ne puis plus partir.

-- Qu'est-ce qui t'attirait donc au dehors ?

-- Je ne veux plus y songer : Rien… Moi-même.

-- Pensais-tu donc être heureux loin de nous ?

-- Je ne cherchais pas le bonheur.

-- Que cherchais-tu ?

-- Je cherchais… qui j'étais.

-- Oh ! fils de tes parents, et frère entre tes frères.

-- Je ne ressemblais pas à mes frères. N'en parlons plus ; me voici de
   retour.

-- Si ; parlons-en encore : Ne crois pas si différents de toi, tes frères.

-- Mon seul soin désormais c'est de ressembler à vous tous.

-- Tu dis cela comme avec résignation.

-- Rien n'est plus fatigant que de réaliser sa dissemblance. Ce voyage
   à la fin m'a lassé.

-- Te voici tout vieilli, c'est vrai.

-- J'ai souffert.

-- Mon pauvre enfant ! Sans doute ton lit n'était pas fait tous les
   soirs, ni pour tous tes repas la table mise ?

-- Je mangeais ce que je trouvais et souvent ce n'était que fruits
   verts ou gâtés dont ma faim faisait nourriture.

-- N'as-tu souffert du moins que de la faim ?

-- Le soleil du milieu du jour, le vent froid du cœur de la nuit, le
   sable chancelant du désert, les broussailles où mes pieds
   s'ensanglantaient, rien de tout cela ne m'arrêta, mais -- je ne
   l'ai pas dit à mon frère -- j'ai dû servir…

-- Pourquoi l'avoir caché ?

-- De mauvais maîtres qui malmenaient mon corps, exaspéraient mon
   orgueil, et me donnaient à peine de quoi manger. C'est alors que
   j'ai pensé : Ah ! servir pour servir !… En rêve j'ai revu la maison
   ; je suis rentré.

Le fils prodigue baisse à nouveau le front que tendrement sa mère caresse.

-- Qu'est-ce que tu vas faire à présent ?

-- Je vous l'ai dit : m'occuper de ressembler à mon grand frère ;
   régir nos biens ; comme lui prendre femme…

-- Sans doute tu penses à quelqu'un, en disant cela.

-- Oh ! n'importe laquelle sera la préférée, du moment que vous
   l'aurez choisie. Faites comme vous avez fait pour mon frère.

-- J'eusse voulu la choisir selon ton cœur.

-- Qu'importe ! mon cœur avait choisi. Je résigne un orgueil qui
   m'avait emporté loin de vous. Guidez mon choix. Je me soumets, vous
   dis-je. Je soumettrai de même mes enfants ; et ma tentative ainsi
   ne me paraîtra plus si vaine.

-- Écoute ; il est à présent un enfant dont tu pourrais déjà t'occuper.

-- Que voulez-vous dire, et de qui parlez-vous ?

-- De ton frère cadet, qui n'avait pas dix ans quand tu partis, que tu
   n'as reconnu qu'à peine, et qui pourtant…

-- Achevez, mère ; de quoi vous inquiéter, à présent ?

-- En qui pourtant tu aurais pu te reconnaître, car il est tout pareil
   à ce que tu étais en partant.

-- Pareil à moi ?

-- À celui que tu étais, te dis-je, non encore hélas ! à celui que tu
   es devenu.

-- Qu'il deviendra.

-- Qu'il faut le faire aussitôt devenir. Parle-lui ; sans doute il
   t'écoutera, toi, prodigue. Dis-lui bien quel déboire était sur la
   route ; épargne-lui…

-- Mais qu'est-ce qui vous fait vous alarmer ainsi sur mon frère ?
   Peut-être simplement un rapport de traits…

-- Non, non ; la ressemblance entre vous deux est plus profonde. Je
   m'inquiète à présent pour lui de ce qui ne m'inquiétait d'abord pas
   assez pour toi-même. Il lit trop, et ne préfère pas toujours les
   bons livres.

-- N'est-ce donc que cela ?

-- Il est souvent juché sur le plus haut point du jardin, d'où l'on
   peut voir le pays, tu sais, par-dessus les murs.

-- Je m'en souviens. Est-ce là tout ?

-- Il est bien moins souvent auprès de nous que dans la ferme.

-- Ah ! qu'y fait-il ?

-- Rien de mal. Mais ce n'est pas les fermiers, c'est les goujats les
   plus distants de nous qu'il fréquente, et ceux qui ne sont pas du
   pays. Il en est un surtout, qui vient de loin, qui lui raconte des
   histoires.

-- Ah ! le porcher.

-- Oui. Tu le connaissais ?… Pour l'écouter, ton frère chaque soir le
   suit dans l'étable des porcs ; et il ne revient que pour dîner,
   sans appétit, et les vêtements pleins d'odeur. Les remontrances n'y
   font rien ; il se raidit sous la contrainte. Certains matins, à
   l'aube, avant qu'aucun de nous ne soit levé, il court accompagner
   jusqu'à la porte ce porcher quand il sort paître son troupeau.

-- Lui, sait qu'il ne doit pas sortir.

-- Tu le savais aussi ! Un jour il m'échappera, j'en suis sûre. Un
   jour il partira…

-- Non, je lui parlerai, mère. Ne vous alarmez pas.

-- De toi, je sais qu'il écoutera bien des choses. As-tu vu comme il
   te regardait le premier soir ?

De quel prestige tes haillons étaient couverts ! puis la robe de
pourpre dont le père t'a revêtu. J'ai craint qu'en son esprit il ne
mêle un peu l'un à l'autre, et que ce qui l'attire ici, ce ne soit
d'abord le haillon. Mais cette pensée à présent me paraît folle ; car
enfin, si toi, mon enfant, tu avais pu prévoir tant de misère, tu ne
nous aurais pas quittés, n'est-ce pas ?

-- Je ne sais plus comment j'ai pu vous quitter, vous, ma mère.

-- Eh bien ! tout cela, dis-le-lui.

-- Tout cela je le lui dirai demain soir. Embrassez-moi maintenant sur
   le front comme lorsque j'étais petit enfant et que vous me
   regardiez m'endormir. J'ai sommeil.

-- Va dormir. Je m'en vais prier pour vous tous.

Confirmed with André Gide, Vers et Prose, March-May 1907, in Le Retour de l'enfant prodigue. Note: this is a prose text. Line breaks have been added arbitrarily.


Text Authorship:

  • by André Gide (1869 - 1951), "La Mère", appears in Le Retour de l'enfant prodigue, no. 4, first published 1907 [author's text checked 1 time against a primary source]

Musical settings (art songs, Lieder, mélodies, (etc.), choral pieces, and other vocal works set to this text), listed by composer (not necessarily exhaustive):

    [ None yet in the database ]

Settings in other languages, adaptations, or excerpts:

  • Also set in German (Deutsch), a translation by Rainer Maria Rilke (1875 - 1926) , "Die Mutter", written 1912, appears in Die Rückkehr des verlorenen Sohnes, no. 4 ; composed by Hermann Reutter.
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Researcher for this text: Emily Ezust [Administrator]

This text was added to the website: 2023-09-20
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