by Charles-Marie-René Leconte de Lisle (1818 - 1894)
Dies irae
Language: French (Français)
Il est un jour, une heure, où dans le chemin rude, Courbé sous le fardeau des ans multipliés, L'Esprit humain s'arrête, et, pris de lassitude, Se retourne pensif vers les jours oubliés. La vie a fatigué son attente inféconde ; Désabusé du Dieu qui ne doit point venir, Il sent renaître en lui la jeunesse du monde ; Il écoute ta voix, ô sacré Souvenir ! Les astres qu'il aima, d'un rayon pacifique Argentent dans la nuit les bois mystérieux, Et la sainte montagne et la vallée antique Où sous les noirs palmiers dormaient ses premiers Dieux. Il voit la Terre libre et les verdeurs sauvages Flotter comme un encens sur les fleuves sacrés, Et les bleus Océans, chantant sur leurs rivages, Vers l'inconnu divin rouler immesurés. De la hauteur des monts, berceaux des races pures, Au murmure des flots, au bruit des dômes verts, Il écoute grandir, vierge encor de souillures, La jeune Humanité sur le jeune Univers. Bienheureux ! Il croyait la Terre impérissable, Il entendait parler au prochain firmament, Il n'avait point taché sa robe irréprochable ; Dans la beauté du monde il vivait fortement. L'éclair qui fait aimer et qui nous illumine Le brûlait sans faiblir un siècle comme un jour ; Et la foi confiante et la candeur divine Veillaient au sanctuaire où rayonnait l'amour. Pourquoi s'est-il lassé des voluptés connues ? Pourquoi les vains labeurs et l'avenir tenté ? Les vents ont épaissi là-haut les noires nues ; Dans une heure d'orage ils ont tout emporté. Oh ! la tente au désert et sur les monts sublimes, Les grandes visions sous les cèdres pensifs, Et la Liberté vierge et ses cris magnanimes, Et le débordement des transports primitifs ! L'angoisse du désir vainement nous convie : Au livre originel qui lira désormais ? L'homme a perdu le sens des paroles de vie : L'esprit se tait, la lettre est morte pour jamais. Nul n'écartera plus vers les couchants mystiques La pourpre suspendue au devant de l'autel, Et n'entendra passer dans les vents prophétiques Les premiers entretiens de la Terre et du Ciel. Les lumières d'en haut s'en vont diminuées, L'impénétrable Nuit tombe déjà des cieux, L'astre du vieil Ormuzd est mort sous les nuées ; L'Orient s'est couché dans la cendre des Dieux. L'Esprit ne descend plus sur la race choisie ; Il ne consacre plus les Justes et les Forts. Dans le sein desséché de l'immobile Asie Les soleils inféconds brûlent les germes morts. Les Ascètes, assis dans les roseaux du fleuve, Écoutent murmurer le flot tardif et pur. Pleurez, Contemplateurs ! votre sagesse est veuve : Viçnou ne siège plus sur le Lotus d'azur. L'harmonieuse Hellas, vierge aux tresses dorées, À qui l'amour d'un monde a dressé des autels, Gît, muette à jamais, au bord des mers sacrées, Sur les membres divins de ses blancs Immortels. Plus de charbon ardent sur la lèvre-prophète ! Adônaï, les vents ont emporté ta voix ; Et le Nazaréen, pâle et baissant la tête, Pousse un cri de détresse une dernière fois. Figure aux cheveux roux, d'ombre et de paix voilée, Errante au bord des lacs sous ton nimbe de feu, Salut ! l'Humanité, dans ta tombe scellée, Ô jeune Essénien, garde son dernier Dieu ! Et l'Occident barbare est saisi de vertige. Les âmes sans vertu dorment d'un lourd sommeil, Comme des arbrisseaux, viciés dans leur tige, Qui n'ont verdi qu'un jour et n'ont vu qu'un soleil. Et les sages, couchés sous les secrets portiques, Regardent, possédant le calme souhaité, Les époques d'orage et les temps pacifiques Rouler d'un cours égal l'homme à l'Éternité. Mais nous, nous, consumés d'une impossible envie, En proie au mal de croire et d'aimer sans retour, Répondez, jours nouveaux ! nous rendrez-vous la vie ? Dites, ô jours anciens ! nous rendrez-vous l'amour ? Où sont nos lyres d'or, d'hyacinthe fleuries, Et l'hymne aux Dieux heureux et les vierges en choeur, Eleusis et Délos, les jeunes Théories, Et les poèmes saints qui jaillissent du coeur ? Où sont les Dieux promis, les formes idéales, Les grands cultes de pourpre et de gloire vêtus, Et dans les cieux ouvrant ses ailes triomphales La blanche ascension des sereines Vertus ? Les Muses, à pas lents, Mendiantes divines, S'en vont par les cités en proie au rire amer. Ah ! c'est assez saigner sous le bandeau d'épines, Et pousser un sanglot sans fin comme la Mer ! Oui ! le Mal éternel est dans sa plénitude ! L'air du siècle est mauvais aux esprits ulcérés. Salut, Oubli du monde et de la multitude ! Reprends-nous, ô Nature, entre tes bras sacrés ! Dans ta khlamyde d'or, Aube mystérieuse, Éveille un chant d'amour au fond des bois épais ! Déroule encor, Soleil, ta robe glorieuse ! Montagne, ouvre ton sein plein d'arome et de paix ! Soupirs majestueux des ondes apaisées, Murmurez plus profonds en nos coeurs soucieux ! Répandez, ô forêts, vos urnes de rosées ! Ruisselle en nous, silence étincelant des cieux ! Consolez-nous enfin des espérances vaines : La route infructueuse a blessé nos pieds nus. Du sommet des grands caps, loin des rumeurs humaines, Ô vents ! emportez-nous vers les Dieux inconnus ! Mais si rien ne répond dans l'immense étendue, Que le stérile écho de l'éternel Désir, Adieu, déserts, où l'âme ouvre une aile éperdue ! Adieu, songe sublime, impossible à saisir ! Et toi, divine Mort, où tout rentre et s'efface, Accueille tes enfants dans ton sein étoilé ; Affranchis-nous du temps, du nombre et de l'espace, Et rends-nous le repos que la vie a troublé !
H. Blanc-Lachau sets stanzas 24-29
E. Moret sets stanza 29
Text Authorship:
- by Charles-Marie-René Leconte de Lisle (1818 - 1894), "Dies irae", appears in Poèmes antiques [author's text checked 1 time against a primary source]
Musical settings (art songs, Lieder, mélodies, (etc.), choral pieces, and other vocal works set to this text), listed by composer (not necessarily exhaustive):
- by Henri Louis François Blanc-Lachau (d. 1919), "Dies irae", published [1903], stanzas 24-29 [ reciter, piano ], Paris, Éd. Choudens ; setting begins "Oui ! le Mal éternel est dans sa plénitude ! " [sung text not yet checked]
- by Ernest Moret (1871 - 1949), "Dies irae", published 1930, stanza 29 [ high voice and piano ], from Les fleurs du cercueil, no. 2, Paris, Éd. "Au Ménestrel" Heugel [sung text not yet checked]
Available translations, adaptations or excerpts, and transliterations (if applicable):
- CZE Czech (Čeština) (Jaroslav Vrchlický) , "Dies irae", first published 1901
Researcher for this text: Emily Ezust [Administrator]
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