Hier, nous sommes partis au fond d'une voiture, Enlacés l'un à l'autre ainsi que deux frileux, Emportant, à travers une sombre nature, Le printemps éternel qui suit les amoureux. Nous avions confié le sort de la journée Au cocher, qui devait nous mener au hasard, Où bon lui semblerait, et notre destinée Reposait dans ses mains à compter du départ. Cet homme, pour Saint-Cloud avait des préférences. Eh bien, va pour Saint-Cloud ; c'est un charmant pays ! D'ailleurs, quand nous mêlons nos douces confidences, Peu m'importe l'endroit, je suis bien où je suis. A la grille du parc, il nous fit donc descendre : Le parc était désert, triste et silencieux ; Le vent roulait au ciel des nuages de cendre, Les arbres étaient noirs et les chemins boueux. Nous nous mîmes à rire. En vérité, madame, C'était risible à voir ; mais on ne voyait pas, Et j'en suis enchanté, la belle et noble dame Qui relevait sa robe et découvrait ses bas. Vous aviez l'embarras, embarras plein de grâce, Des femmes comme il faut, qui marchent, n'ayant pas L'habitude d'aller à pied, et votre race Aurait pu se prouver rien que par vos faux pas. Vous teniez d'une main votre robe de soie Relevée en deux plis par devant : vos jupons, Dentelés et brodés, se donnaient cette joie De rire avec la boue, en battant vos talons. Vos pieds, à chaque instant, s'enfonçaient dans la terre, Comme si cette terre eût voulu vous garder. Pour les en retirer, c'était toute une affaire, Et vous n'aviez pas trop de moi pour vous aider. La belle promenade et la charmante chose Que l'amour dans un bois par un temps pluvieux ! La bise vous faisait un petit nez tout rose, Empourprait votre joue et mouillait vos grands yeux. Eh bien, c'était charmant plus qu'en la saison verte. Le parc était à nous, à nous seuls, à nous deux ! Pas un visage humain sur la route déserte, Pas d'importun témoin qui nous cherchât des yeux ! Nous avons traversé les longues avenues, Que terminait toujours le même horizon gris, Sans même regarder les déesses connues Posant en marbre blanc sous les arbres maigris. Nous sommes arrivés près d'un bassin où rode Un cygne encor plus blanc que le lait, et nageant Silencieusement : et, comme une émeraude, L'eau verte reflétait le bel oiseau d'argent. Il vint nous demander quelque chose, une miette De pain, et, pour nous plaire, il tordait son long cou. Vous lui dites alors : « Pauvre petite bête ! Je ne le savais pas, et je n'ai rien du tout. » Si bien qu'il nous quitta, nous méprisant sans doute, Et s'en alla, rayant le miroir du bassin, A côté du jet d'eau, qui, tombant goutte à goutte, Faisait à lui tout seul tout le bruit du jardin. Nous restâmes alors appuyés l'un à l'autre, Regardant le beau cygne, écoutant le jet d'eau. La tristesse du bois faisait cadre à la nôtre, Et le soir commença d'étendre son rideau. Dans ma poche, je pris une clef de ma chambre, Et sur un piédestal, plein de mots au crayon A mon tour, j'incrustai ces mots : « Trente décembre » Puis, auprès de ces mots, je gravai votre nom. Maintenant, quand l'été va rire dans les arbres, Quand les gais promeneurs repeupleront le bois, Quand les feuilles auront leurs reflets sur le marbre, Quand le parc sera plein de lumière et de voix, A la saison des fleurs enfin, j'irai, madame, Revoir le piédestal portant le nom tracé, Ce doux nom dans lequel j'emprisonne mon âme, Et que le vent d'hier a peut-être effacé. Qui sait où vous serez alors, ma voyageuse ! Je serai seul peut-être, et vous m'aurez quitté. Aurez-vous donc repris votre route joyeuse, En me laissant l'hiver au milieu de l'été ? Car l'hiver, ce n'est point la bise et la froidure, Et les chemins déserts qu'hier nous avons vus ; C'est le coeur sans rayons, c'est l'âme sans verdure, C'est ce que je serai, quand vous n'y serez plus.
Saint Cloud, 2 mélodies sur des textes de Alexandre Dumas
by Serge Lippmann (1886 - 1975)
1. Hier  [sung text not yet checked]
Language: French (Français)
Text Authorship:
- by Alexandre Dumas Davy de la Pailleterie (1802 - 1870), no title, appears in Causeries, from Chapter 1, "Les trois dames II"
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Researcher for this text: Emily Ezust [Administrator]Total word count: 663