Le pouce est ce gras cabaretier flamand, d'humeur goguenarde et grivoise, qui fume sur sa porte, à l'enseigne de la double bière de mars. L'index est sa femme, virago sèche comme une merluche, qui, dès le matin, soufflette sa servante dont elle est jalouse, et caresse la bouteille dont elle est amoureuse. Le doigt du milieu est leur fils, compagnon dégrossi à la hache, qui serait soldat s'il n'était brasseur, et qui serait cheval s'il n'était homme. Le doigt de l'anneau est leur fille, leste et agaçante Zerbine, qui vend des dentelles aux dames et ne vend pas ses sourires aux cavaliers. Et le doigt de l'oreille est le Benjamin de la famille, marmot pleureur, qui toujours se brimbale à la ceinture de sa mère comme un petit enfant pendu au croc d'une ogresse. Les cinq doigts de la main sont la plus mirobolante giroflée à cinq feuilles qui ait jamais brodé les par- terres de la noble cité de Harlem.
Trois Fantaisies de Gaspard de la Nuit
Song Cycle by Michèle Reverdy (b. 1943)
1. Les Cinq doigts de la main  [sung text not yet checked]
Text Authorship:
- by Aloysius Bertrand (1807 - 1841), "Les Cinq doigts de la main", appears in Gaspard de la nuit, fantaisies à la manière de Callot et Rembrandt, in Les Fantaisies de Gaspard de la Nuit, in 1. École flamande, no. 6
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Researcher for this text: Emily Ezust [Administrator]2. Sur les rochers de Chèvremorte  [sung text not yet checked]
Ce n’est point ici qu’on respire la mousse des chênes et les bourgeons du peuplier, ce n’est point ici que les brises et les eaux murmurent d’amour ensemble. Aucun baume, le matin après la pluie, le soir aux heures de la rosée ; et rien pour charmer l’oreille que le cri du petit oiseau en quête d’un brin d’herbe. Désert qui n’entend plus la voix de Jean-Baptiste ! Désert que n’habitent plus ni les ermites ni les colombes ! Ainsi mon âme est une solitude où, sur le bord de l’abîme, une main à la vie et l’autre à la mort, je pousse un sanglot désolé. Le poète est comme la giroflée qui s’attache, frêle et odorante, au granit, et demande moins de terre que de soleil. Mais hélas ! je n’ai plus de soleil, depuis que se sont fermés les yeux si charmants qui réchauffaient mon génie !
Text Authorship:
- by Aloysius Bertrand (1807 - 1841), "Chèvremorte", written 1832, appears in Gaspard de la nuit, fantaisies à la manière de Callot et Rembrandt, in Les Fantaisies de Gaspard de la Nuit, in 6. Silves, no. 4
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Confirmed with Aloysius Bertrand, Gaspard de la nuit, Paris, Mercure de France, 1920, pages 177-178. Note: this is a prose text with arbitrary line-breaks added. It is preceded by the following epigraph:
Et moi aussi j’ai été déchiré par les épines de ce désert, et j’y laisse chaque jour quelque partie de ma dépouille. Les Martyrs, livre X.
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3. La Chanson du masque  [sung text not yet checked]
Ce n'est point avec le froc et le chapelet, c'est avec le tambour de basque et l'habit de fou que j'entreprends, moi, ce pèlerinage à la mort ! Notre troupe bruyante est accourue sur la place Saint-Marc, de l'hôtellerie du signor Arlecchino, qui nous avait tous conviés à un régal de macarons à l'huile et de polenta à l'ail. Marions nos mains, toi qui, monarque éphémère, ceins la couronne de papier doré, et vous, ses grotesques sujets, qui lui formez un cortège de vos manteaux de mille pièces, de vos barbes de filasse et de vos épées de bois. Marions nos mains pour chanter et danser une ronde, oubliés de l'Inquisiteur, à la splendeur magique de girandoles de cette nuit rieuse comme le jour. Chantons et dansons, nous qui sommes joyeux, tandis que ces mélancoliques descendent le canal sur le banc des gondoliers, et pleurent en voyant pleurer les étoiles. Dansons et chantons, nous qui n'avons rien à perdre, et tandis que, derrière le rideau où se dessine l'ennui de leurs fronts penchés, nos patriciens jouent d'un coup de cartes palais et maîtresses !
Text Authorship:
- by Aloysius Bertrand (1807 - 1841), "La Chanson du masque", appears in Gaspard de la nuit, fantaisies à la manière de Callot et Rembrandt, in Les Fantaisies de Gaspard de la Nuit, in 5. Espagne et Italie, no. 7
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Confirmed with Aloysius Bertrand, Gaspard de la nuit, Paris, Mercure de France, 1920, pages 164-165. Note: the poem is a prose text so we have added line breaks. It is preceded by the following epigraph:
Venise au visage de masque. Lord Byron.
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