Difference(s) between text #109916 and text #109928
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1 | <i>À Abel de Valait</i> | ||
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3 | Un forgeron forgeait une poutre de fer, | ||
4 | Et les dieux, les esprits invisibles de l'air, | ||
5 | Ces témoins inconnus des actions humaines, | ||
6 | (Tandis qu'autour de lui, bruissant par centaines. | ||
7 | Les ét'incelles d'or faisaient comme un soleil,) | ||
8 | Les dieux voyaient son cœur, à la forge pareil, | ||
9 | Palpiter, rayonnant, plein de bonnes pensées, | ||
10 | Étincelles d'amour en tous sens élancées ! | ||
11 | Or, tout en martelant le fer, de ses bras nus. | ||
12 | Le brave homme songeait aux frères inconnus | ||
13 | A qui son bon travail serait un jour utile... | ||
14 | Et donc en martelant la poutre qui rutile, | ||
15 | Il chantait le travail qui rend dure la main, | ||
16 | Mais qui donne un seul cœur à tout le genre humain. | ||
17 | Tout à coup, la chanson du forgeron s'arrête : | ||
18 | « Ah ! dit-il tristement, en secouant la tête. | ||
19 | Mon travail est perdu, la barre ne vaut rien: | ||
20 | Une paille est dedans ; recommençons. C'est bien. » | ||
21 | Car le bon ouvrier est scrupuleux et juste ; | ||
22 | Il ne plaint pas l'effort de son torse robuste ; | ||
23 | Il sait que ce qu'il doit c'est un travail bien fait, | ||
24 | Qu'une petite cause a souvent grand effet, | ||
25 | Que le mal sort du mal, le bien du bien, qu'en somme | ||
26 | Un ouvrage mal fait peut entraîner mort d'homme. | ||
27 | Les étincelles d'or faisaient comme un soleil ; | ||
28 | Et de ce cœur vaillant, à la forge pareil, | ||
29 | Étincelles d'amour en tous sens élancées, | ||
30 | Jaillissaient le courage et les bonnes pensées. | ||
31 | Et la poutre de fer, dont l'ouvrier répond, | ||
32 | Sert un beau jour, plus tard, aux charpentes d'un pont | ||
33 | Et sur le pont hardi qui fléchit et qui tremble, | ||
34 | Voici qu'un régiment — six cents hommes ensemble — | ||
35 | Passe, musique en tête, et le beau régiment | ||
36 | Sent sous ses pieds le pont fléchir affreusement... | ||
37 | Le pont fléchit, va rompre... et les six cents pensées | ||
38 | Vont aux femmes, aux sœurs, aux belles fiancées, | ||
39 | Et dans le cœur des gens qui voient cela des bords, | ||
40 | La patrie a déjà pleuré les six cents morts ! | ||
41 | Chante, chante dès l'heure où ta forge s'allume ! | ||
42 | Frappe, bon ouvrier, gaîment, sur ton enclume : | ||
43 | Le pont ne rompra pas, le pont n'a pas rompu ! | ||
44 | Car le bon ouvrier a fait ce qu'il a pu, | ||
45 | L'homme n'a jamais su, l'homme ne saura pas | ||
46 | Combien d'hommes il a soutenus de ses bras | ||
47 | Au-dessus du grand fleuve et de la mort certaine ! | ||
48 | Et pas un seul soldat, et pas un capitaine | ||
49 | Ne saura qu'il lui doit la vie et le retour | ||
50 | Au village oii l'attend le baiser de l'amour. | ||
51 | Nul ne dira: « Merci, brave homme », à l'homme juste | ||
52 | Qui fit un travail fort avec son bras robuste... | ||
53 | Mais peut-être qu'un jour, quand ses fils pleureront | ||
54 | En rejetant le drap de son lit sur son front, | ||
55 | Quand la mort lui dira le secret à l'oreille, | ||
56 | Peut-être il entendra tout à coup, ô merveille ! | ||
57 | Il verra les esprits invisibles de l'air | ||
58 | Lui conter le destin de sa poutre de fer, | ||
59 | Et lorsqu'on croisera ses pauvres mains glacées, | ||
60 | Lui, vivant immortel dans ses bonnes pensées, | ||
61 | Laissant sa vie à tous, en exemple, en conseil, | ||
62 | Sentira rayonner son cœur comme un soleil ! |
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