by Théodore Faullin de Banville (1823 - 1891)
Diane
Language: French (Français)
ÉROS
Diane,
Je t'adore !
DIANE
Ah ! perdue !
ÉROS
Écoute-moi !
DIANE
Pleurez,
Solitudes ! Maudis tes attributs sacrés,
Chasseresse ! Pour toi la neige était impure !
Et, vierge, tu trouvais au lys une souillure,
Foulant avec mépris Féther surnaturel !
Et l'aigle est moins rapide à monter vers le ciel
Qu'à monter à ton front la rougeur n'était prompte
Alors ! nymphe orgueilleuse, à présent bois ta honte !
ÉROS
Diane !
DIANE
Laisse-moi. Va ! laisse-moi pleurer !
Laisse mon sein gémir et mon cœur s'ulcérer.
Homme, ne trouble pas mon angoisse suprême.
Maudite, désolée, en horreur à moi-même,
Blessée enfin d'un mal que rien ne peut guérir,
Je me hais. Que peux-tu d'ailleurs ?
ÉROS
Je puis mourir.
Mais, nymphe, sur le pauvre enfant que tu détestes
Tourne encor sans courroux ces deux astres célestes !
Approche, et sous l'éclair enivrant de tes yeux
Je mourrai... sans regret !
DIANE
Mourir ! Toi ! Justes dieux !
ÉROS
Mais sache auparavant quelle flamme dévore
Le printemps de ma vie, et combien je t'adore !
Je suis Endymion, un berger fils de roi.
Diane, le soleil de mon âme, c'est toi !
La nuit, lorsque ton char de diamant s'élance
Dans l'infini, je cours au bois plein de silence.
Dans les plis des rochers hideux, où se suspend
La ronce, je me glisse et j'avance en rampant.
Je suis ta chasse errant sous les blancheurs de lune.
Tes nymphes au hallicr sauvage ou sur la dune
Te précèdent. Enfin, sur le gazon naissant
Tu parais, jeune et svelte et le pied bondissant.
Je cherche dans tes yeux le vol' de tes pensées
Noires d'ombre et d'azur. Les étoiles glacées
Admirent en fuyant l'héroïque rougeur
De ton front virginal ; et moi, pâle, songeur,
Ébloui de rayons, sentant croître la fièvre
Qui me brûle, je vois de loin briller ta lèvre
Dédaigneuse, aux clartés de ton astre changeant.
Cette lumière rose et ces flammes d'argent
Se confondent ensemble et m'emplissent de joie.
Mon regard allangui dans tes cheveux se noie.
Sur tes pas, épiant alors chaque délour,
Je marche déchiré d'épouvante et d'amour,
Et je te suis !
DIANE
Fuis-moi, cruel enfant. Oublie
Tout, mes pleurs, mes sanglots, mon crime et ta folie !
Une autre, quelque reine, enfant thessalien,
T'aimera, jeune, libre, hélas ! de tout lien,
Et plus belle que moi.
ÉROS
Toi seule es à la taille
De mon cœur ! Où te fuir, dis ? Où veux-tu que j'aille
Pour oublier ? Quels pleurs de la nue éteindront
Le feu de ton baiser, qui brûle encor mon front
Tout parfumé du souffle adoré de ta bouche ?
Dis, quel antre assez noir et quel désert farouche
Éteindra dans son ombre où nul n'a pénétré
L'ardente soif d'amour dont tu m'as altéré ?
DIANE
Eh bien, je quitterai ces forets, mon asile.
Ces chers abris sacrés, c'est moi qui m'en exile !
ÉROS
Non, où tu t'en iras, je m'en irai ! Je suis
L'ombre de ta pensée avide, et je le suis !
Je te suis ! Si tu vas sous les vagues humides
Au fond des palais verts où sont les néréides,
Je te suivrai dans l'onde où les gouffres amers
Se plaignent ! Si tu vas jusque dans les enfers,
J'irai, tenant la lyre, et pour le roi barbare
Mêlant ma strophe en pleurs aux sanglots du Tartare !
Et si, lançant dans l'air ton vol démesuré,
Tu t'en vas jusqu'au fond de l'éther azuré
Où ruissellent, parmi l'immensité perdues,
Les étoiles, comme un lait divin répandues,
J'irai devant les dieux enivrés de nectar
Me coucher sous la roue ardente de ton char !
Tu vois que je suis fou ; tu m'entends, je blasphème !
Frappe. Venge-toi.
DIANE
Non, malheureuse, je t'aime !
ÉROS
Diane !
DIANE
Mais je veux étouffer dans mon sein
L'hydre qui le déchire et l'amour assassin !
Aimer ! Qui ? Moi la nymphe auguste aux bras d'ivoire !
Moi la guerrière, ô dieux ! je flétrirais ma gloire !
O Thessalie en deuil, j'ai tant de fois juré
Par le Cnémis où gronde un vent désespéré,
Et par la grande nuit où le Titan se cache,
Et par l'OEta couvert d'une neige sans tache,
J'ai juré tant de fois de garder endormi
Le soupir de mon cœur, et de rester parmi
Les noirs Olympiens, en proie aux bacchanales,
Pure et blanche au milieu des splendeurs virginales !
Et que de fois au ciel errant et voltigeant,
Ma pensée a juré par les astres d'argent
Calmant à leur douceur mes peines assoupies,
De rester un lys, froid comme eux !
ÉROS
Serments impies !
Entends les rossignols qui chantent leurs amours !
Entends : l'herbe et la mousse ont de charmants discours !
Vois dans l'immensité souriante et sereine
Les astres, c'est l'amour vivant qui les entraîne.
C'est par lui que la rose, âme des nuits d'été,
Ouvre son grand calice ivre de volupté.
Vois sur le ruisseau clair et sur les eaux stagnantes
S'agiter par essaim des ailes frissonnantes ;
Elles savent pourquoi tout s'embrase, et l'amour
Leur a dit que le mois des fleurs est de retour.
Vois briller la rosée, et sur les herbes folles
Étinceler le corps doré des lucioles
Qui rhythment les sillons de leurs ailes de feu.
Une lueur d'argent enveloppe l'air bleu,
Et tout te dit d'aimer et tout te dit de vivre.
Et cette ombre et l'odeur des feuilles qui t'enivre,
Et la rose qui trône au milieu de sa cour,
Ces pleurs, ces bruits, ces voix, ces parfums, c'est l'amour !
Je t'aime !
DIANE
Endymion, ne me dis plus ces choses !
ÉROS
Je t'aime ! Ce baiser qui de tes lèvres roses
Voltigea sur mon front tandis que je dormais,
Chère âme, laisse-moi te le rendre !
DIANE
Jamais !
Je ne veux pas.
ÉROS
L'amour pour l'éternité lie
Nos âmes.
DIANE
Laisse-moi partir, je t'en supplie.
Dis, par pitié !
ÉROS
Vois-tu, l'amour seul est divin,
Et gloire, autels, rayons, lauriers, le reste est vain.
DIANE
Non, tais-toi.
ÉROS
L'amour seul est doux, ma bien-aimée.
Tu soupires !
DIANE
Adieu.
ÉROS
Vois, ta main désarmée
Brûle et tremble ; ton sein frémit ; tes yeux errants
S'alanguissent, voilés de larmes et mourants ;
Tu te sens défaillir et le sang abandonne
Ta lèvre pâlissante. fille de Latone,
Ta voix harmonieuse est comme un chant d'oiseau ;
Ton col penche, lassé ; ta taille de roseau
Sur mon bras glisse et ploie ainsi qu'une liane :
C'est l'amour !
DIANE
Non, tais-toi !
ÉROS
C'est l'amour ! Ma Diane !
DIANE
Mon Endymion !
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View text with all available footnotesConfirmed with Théodore de Banville, Diane au bois, comédie héroïque en deux actes, en vers, Paris: Michel Lévy Frères, 1864, Act II, scene iv, pages 51-57.
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- by Théodore Faullin de Banville (1823 - 1891), no title, appears in Diane au bois, comédie héroïque en deux actes, en vers, Paris, Michel Lévy Frères, first published 1864 [author's text checked 1 time against a primary source]
Musical settings (art songs, Lieder, mélodies, (etc.), choral pieces, and other vocal works set to this text), listed by composer (not necessarily exhaustive):
- by Claude Achille Debussy (1862 - 1918), "Diane, je t'adore!", L. 51 no. 3 (1883-1886) [ duet for soprano and tenor and piano ], from opera Diane au bois, no. 3, https://www.loc.gov/item/consortium.mgn_114397/ [sung text checked 1 time]
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