I
Connaissez-vous cette histoire ? Elle est vraie.
De son couvent un novice sortait, 
Lorsqu'il ouït, dans les fleurs de la haie, 
Un oiseau qui chantait.

En sa fraîcheur la voix était si tendre, 
On y sentait si bien murmurer Dieu, 
Que, sans bourger le novice, à l'entendre, 
Resta jusqu'au soir bleu.

La nuit le prit dans sa résille noire ;
La voix se tut, j'imagine, ou s'enfuit :
Il l'écoutait chanter dans sa mémoire ;
Il ne vit pas la nuit.

Le jour revient, chassant tout maléfice ;
En vain les coqs crierent son retour ;
L'étrange charme endormait le novice :
Il ne vit pas le jour.

II
Debout encor, muet, dans l'ignorance
Du soleil lourd ou du vent qui battait, 
Il n'avait plus ni plaisir, ni souffrance, 
Ni crainte : il écoutait.

Et, désormais, cherchant toujours la phrase
Qu'il poursuivra durant l'éternite, 
Vainqueur du temps, immobile, en extase, 
Le novice est resté.

III
Lorsqu'en mes bras la tenant endormie, 
De sa beauté respirant les parfumes, 
Je pus baiser les yeux de mon amie, 
J'avais les cheveux bruns.

Sur notre amour je fermai la fenêtre ;
Sans voir le ciel ni les coteaux fleuris, 
Près du cher cœur je suis resté ... Peut-être
Que j'ai les cheveux gris.

Dans la douceur de la nuit embaumée
J'ai bu l'oubli des jours étincelants :
Sans m'en douter, sans rien voir que l'aimée, 
J'aurai les cheveux blancs.

Et, me penchant sur son sommeil tranquille, 
Cherchant son nom et me le murmurant, 
Je resterai dans l'extase, immobile, 
L'éternité durant !