Je suis entré dans le tourbillon de la vie... Je suis tremblant, hagard, brisé, tendu, nerveux ; Je suis plein de regrets, de désirs et de vœux, De souvenirs, d'espoirs, d'envies... Je ne sais plus ce que je veux ; Je trébuche aux tournants des chemins poursuivis. Je me sens incertain, épars, divers, nombreux... J'ignore si je suis heureux : Je vis. J'aime, et je ne sais comment j'aime : Je frissonne, j'ai peur comme un homme charmé. J'aime de longs yeux noirs, caressants et soyeux, Tour à tour graves ou joyeux, Dont les cils font une ombre, alors qu'ils sont fermés, Si douce qu'elle semble un regard elle-même ; J'aime une bouche fraîche, une bouche embaumée, Des cheveux ondoyants fins comme une fumée, Des doigts légers où rit une petite gemme. Et je ne cherche pas à savoir comment j'aime, Comment je suis aimé : J'aime. Je veux la gloire, et je ne sais Même pas bien si je la veux ; Je pense et j'écris mes pensées En mots indécis et peureux. Je sens mes vers là, sous mon front : J'ignore s'ils me survivront, Les dire m'exalte et m'enchante ; Ma voix ne peut rester muette ; Je ne sais si je suis poète : Je chante. Je vis, je vais parmi des choses : Bonnes, mauvaises, je ne sais, Car je suis souvent caressé Par elles, et souvent blessé. J'aime Décembre et Juin, les cyprès et les roses, Les grands monts bleus, les humbles coteaux gris, La rumeur de la mer, la rumeur de Paris... Bonnes, mauvaises, je ne sais : Je vis, je vais, j'aime les choses. Je vais aussi parmi des hommes et des femmes, Et sous les fronts, dans les regards, je vois les âmes Qui glissent en essaims devant mes yeux ravis. Le monde est comme un vol d'oiseaux d'ombre ou de flamme Que je verrais passer du haut des monts gravis... Des hommes m'ont fait mal, j'ai vu pleurer des femmes ; J'aime ces hommes et ces femmes : Je vis. -- Et je mourrai, plus tard, très tard, bientôt peut-être : Je ne sais pas. Je m'en irai peut-être Dans l'inconnu, là-bas, là-bas, Comme un oiseau s'envole, ivre, par la fenêtre ! Je m'en irai peut-être Dans l'inconnu mystérieux, là-bas, Au grand soleil de Dieu renaître ! Je ne sais pas. Ou bien j'irai dormir et pourrir à jamais Sous quelques pieds de terre, Loin des arbres, du ciel et des yeux que j'aimais, Dans la nuit délétère... Mais à mon tour j'aurai connu le goût chaud de la vie : J'aurai miré dans ma prunelle, Petite minute éblouie, La grande lumière éternelle ; Mais j'aurai bu ma joie au grand festin sacré ; Que voudrais-je de plus ? J'aurai vécu, Et je mourrai.
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Confirmed with Fernand Gregh, Les Clartés Humaines. Poésies. Deuxième mille, Paris, Bibliothèque-Charpentier, 1904, pages 3-6.
Text Authorship:
- by Fernand Gregh (1873 - 1960), "Je vis...", appears in Les clartés humaines, in 1. Je vis..., no. 1, first published 1904 [author's text checked 1 time against a primary source]
Musical settings (art songs, Lieder, mélodies, (etc.), choral pieces, and other vocal works set to this text), listed by composer (not necessarily exhaustive):
- by François Rasse (1873 - 1955), "Je vis", 1951 [ tenor and piano ] [sung text not yet checked]
Researcher for this text: Emily Ezust [Administrator]
This text was added to the website: 2021-11-07
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