Au-dessous de ma fenêtre, nous avons des rosiers âgés et florifères, entre les flaques d’eau, les pigeons baigneurs, les althaeas taillés en pelotes et les balisiers. Ils ne sont morts ni des guerres, ni des gelées. Au-dessous de ma fenêtre, ces vieux rosiers prodigieux n’ont jamais manqué de fleurir, de refleurir, et de fleurir une fois encore avant novembre. Roses du Palais-Royal, belles sans tache ni tare, Roses sur tiges, le bouton clos comme un œuf, puis inopinément ouvertes, Roses qu’éveille au centre de Paris l’arc-en-ciel prisonnier du jet d’eau, Je cherche en quel éden cueillir les fleurs qui vous vaillent…
L'Herbier de Colette, six compositions pour Soprano et piano
by Édith Lejet (b. 1941)
1. Rose  [sung text checked 1 time]
Authorship:
- by (Sidonie-Gabrielle) Colette (1873 - 1954), written 1947, appears in Pour un herbier, Lausanne, Éd. Mermod, first published 1948
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Researcher for this text: Emily Ezust [Administrator]2. Jacinthe  [sung text checked 1 time]
Dans la forêt, on m’assure que sous les feuilles mortes les cornes des jacinthes sauvages sont déjà longues d’un doigt. Menaces, autant que promesses ! Une folle bat des mains : « à Pâques on ira camper !" Mais une sage baisse le sourcil : « nous serons jolis, à la lune rousse ! » Avant, c’est moi qui jetais le cri, qu’il fût d’alarme ou de joie, c’est moi qui troussais les feuilles, qui interrogeais les bulbes anxieux. Aujourd’hui, mon morose privilège me vaut, avant tout le monde, un bouquet de jacinthes blanches qui parfument ma chambre. Qu’ont-elles de commun avec cette haute et frêle fille des bois, avec la jacinthe sauvage ? O ma grosse jacinthe cultivée, ô ma citadine bien en chair, je te sais gré de remplacer ce qui désormais me manque et me manquera : la floraison forestière bleue, spontanée et fragile, innombrable assez pour que j’y puise l’illusion de côtoyer un lac, ou un champ de lin bleu en fleur….
Authorship:
- by (Sidonie-Gabrielle) Colette (1873 - 1954), "Jacinthe cultivée", written 1947, appears in Pour un herbier, Lausanne, Éd. Mermod, first published 1948
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Researcher for this text: Emily Ezust [Administrator]3. Orchidée  [sung text checked 1 time]
Je vois un petit sabot pointu, bien pointu. Il est façonné d’une matière verte comme le jade. Et sur le nez du sabot, je vois un oiseau nocturne : deux grands yeux, un bec. A l’intérieur du sabot, quelqu’un - mais qui ? - a semé une herbe d’argent, inclinée. Autour, asymétriques, cinq bras divergent. Un beau labelle à fond blanc s’éploie au-dessous d’eux, frappé d’un pointillé violet, et figure, oui, figure la poche de la pieuvre ; car, au fait, mon orchidée est une pieuvre : Sinon les huit bras, elle possède le bec de perroquet des octopodes. Cinq bras seulement, Qui t’amputa des trois autres ? Qui ? Où ? Sous quels cieux ? Dans quel dessein ? Du calme, du calme. Merveille inaccessible du monde extérieur, mon orchidée d’aujourd’hui est un songe difforme et plein d’attraits.
Authorship:
- by (Sidonie-Gabrielle) Colette (1873 - 1954), "Orchidée", written 1947, appears in Pour un herbier, Lausanne, Éd. Mermod, first published 1948
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Researcher for this text: Emily Ezust [Administrator]4. Anémone  [sung text checked 1 time]
Anémone, majesté de la fleur ronde ! Mes anémones que voici ont voyagé sans boire et n’en sont pas mortes, mais évanouies seulement. Un bain d’eau tiède, et c’est presque par bonds qu’elles ressuscitent. Le geste de l’anémone est d’une décision magnifique. Elle se déploie de toutes parts, comme un papillon crépusculaire qui, derrière une persienne ou sur le tronc d’un pin, étire sa première paire d’ailes grises et dévoile soudain, rouge de framboise ou bleu clair de lune, son jupon de fête nocturne. Chaque anémone est une surprise de velours rouge, de violet.
Authorship:
- by (Sidonie-Gabrielle) Colette (1873 - 1954), "Anémone", written 1947, appears in Pour un herbier, Lausanne, Éd. Mermod, first published 1948
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Researcher for this text: Emily Ezust [Administrator]5. Glycine  [sung text checked 1 time]
Sa folle floraison de mai, sa résurgence de septembre embaument les souvenirs de ma petite enfance. Cette glycine se chargeait d’abeilles autant que de fleurs, et murmurait comme une cymbale dont le son se propage sans s’éteindre, plus belle chaque année, jusqu’à l’époque où j’appris ce qu’est sa puissance meurtrière. La glycine commença à arracher la grille. Je l’ai vue en soulever un imposant métrage. Je l’ai vue en tordre les barreaux à l’imitation de ses propres flexions végétales. Il lui arriva de rencontrer le chèvrefeuille voisin, le charmant chèvrefeuille mielleux à fleurs rouges. Elle le suffoqua lentement comme un serpent étouffe un oiseau. Par un jour torride où tout était propice aux mauvais songes, j’ai visité la tour tronquée du Désert de Retz. Je n’y retournerai pas. Celle-ci regorgeait de meubles massacrés : Devais-je redouter un reste maléfique de vie ? Le bris soudain d’une vitre m’obligea à tressaillir : un bras végétal, coudé, en qui je n’eus pas de peine à reconnaître l’esprit reptilien des glycines, venait de frapper, et d’entrer par effraction !
Authorship:
- by (Sidonie-Gabrielle) Colette (1873 - 1954), "Mœurs de la glycine", written 1947, appears in Pour un herbier, Lausanne, Éd. Mermod, first published 1948
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Researcher for this text: Emily Ezust [Administrator]6. Ellébore  [sung text checked 1 time]
On l’appelle rose de Noël. Une bonne neige pas trop poudreuse et des nuits d’hiver où passe le souffle d’ouest, voilà qui convient à l’ellébore. Inattendues, précieuses, prosternées, mais bien vivantes, les ellébores hivernent. Tant que la neige les charge, elles restent fermées. Toute la plante proclame sa persistance émouvante. Cueillie, ses coquillages sensibles desserreront leurs joints à la tiédeur d’une chambre. Chez moi, vous pouvez dormir le reste de votre sommeil pudique, puis périr, alors que la chaude neige eût pu, ellébore, vous tenir encore en vie.
Authorship:
- by (Sidonie-Gabrielle) Colette (1873 - 1954), "Ellébore", written 1947, appears in Pour un herbier, Lausanne, Éd. Mermod, first published 1948
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