Paroles d'hiver

Dix heures de lumière s’effacent,
Et un oiseau tardif s'envole,
Là où les pins, comme des valseurs en attente,
Donnent un coup à leurs noires crinières.
 
Les feuilles de hêtre, qui jaunissent l'heure de midi,
Passent en flottant, des taches sur l’œil ;
J'ai mis chaque arbre à l’heure de juin,
Et maintenant ils obscurcissent le ciel.
 
Et les enfants qui se promènent par ici
S’imaginent qu'il n'y a jamais eu
Un temps où aucun grand arbre ne poussait ici,
Et que l'on n'en verra aucun un jour.

Un jeune voyageur était assis en troisième classe
Et la flamme huileuse de la lampe du plafond
Jouait sur sa forme et son visage apathique,
Enveloppé par le fait de ne pas savoir où il allait,
Ni d'où il venait.
 
Dans le bandeau de son chapeau, le garçon voyageur
avait un billet fiché, et sur une ficelle
Autour de son cou, la clé de son coffre,
qui scintillait aux tristes rayons de la lampe.
comme une chose vivante.
 
Quel passé peut être le tien, ô garçon voyageur ?
Vers un monde inconnu,
Qui calmement, comme s’il était indifférent
À tout ce qui est en jeu, peut entreprendre
ce plongeon seul ?
 
Ton âme connait-elle une sphère, ô garçon voyageur,
Bien au-dessus de nos rudes royaumes,
D'où, d’un vaste regard, tu marques et mesures
Ce monde de péché où tu te trouves,
mais dont tu n'es pas issu ?

Un bébé regardait un gué, vers lequel
Une bergeronnette est venue boire ;
Un taureau mugissant passait le gué,
La bergeronnette n'a pas reculé.
 
Un étalon éclaboussa son chemin à travers,
La bergeronnette a failli sombrer ;
Elle secoua d’un coup ses plumes,
Et resta là, sans même cligner de l’œil.
 
Après cela, le bébé vit arriver
Un gros chien bâtard à l’allure lente ;
La bergeronnette le regardait, sans broncher,
En trempant, buvant et piquant du bec.
 
Un parfait gentleman s'approche alors ;
La bergeronnette, dans un clin d'œil,
Avec terreur, se lève et disparaît ;
Et le bébé s’est mis à réfléchir.

Grince, petite chose en bois, grince,
Quand je te touche du coude ou du genou ;
C'est ainsi que tu parles
De celle qui t'a donné à moi !
 
Toi, petite table, elle t'a apporté -
Elle t'a apporté de sa propre main,
Alors qu'elle me regardait avec une pensée
que je ne comprenais pas.
 
- Celui qui la possède maintenant,
Et entend cela, ne saura jamais
Quelle histoire se cache derrière
Ce grincement d'il y a longtemps.

Il nous demandait souvent
Si, quand il mourrait,
Après avoir mené en musique
Tant de gens vers leur dernier repos,
Si de notre compagnie
Il en restait de ce monde,
Si cela ne nous dérangeait pas,
Pourrions-nous avec nos luths,
Jouer pour lui,
Au bord de sa tombe,
Son psaume préféré,
Celui dont le sens convient à
« La montagne d’Éphraïm »
Et peut-être aurions-nous l’air
Pour lui, dans le rêve de la mort,
comme les séraphins ?
 
Dès que j'ai su
Que son esprit était parti
J'ai pensé que c'était son dû,
Et j'ai alors évoqué ce sujet.
« Je pense, » dit le curé,
« Un office sans musique serait plus rapide
Que des violes en plein air
Par ces givres et frimas.
Ces coutumes à l’ancienne
Nécessitent du beau temps,
Et il me semble donc
qu'il vaudrait mieux qu'il n'y en ait pas. »
 
Ainsi, cet après-midi-là,
Bien qu'il n'ait jamais su
Que son souhait ne pouvait être,
Pour en finir plus vite
Ils ont enterré le maître
Sans aucune musique.
 
Mais on dit que, lorsque
Au milieu de la nuit suivante
Le curé regarda dehors,
Il fut étonné d’apercevoir
Une foule aux alentours,
Là où le givre grisait
Le gazon et les pierres tombales,
Une bande tout de blanc vêtue
Comme les saints dans les vitraux,
Chantant et jouant
Les anciennes portées
Près de la tombe du maître de chœur.
 
Voilà ce que le ténor a raconté
Quand il était devenu vieux.

Les grives chantent quand le soleil se couche,
Et les pinsons sifflent seuls ou par deux,
Et quand la nuit tombe, les rossignols bruyants
   Dans les buissons
Pipeautent, comme ils peuvent quand Avril s’épuise,
   Comme si le temps tout entier leur appartenait.
 
Ces oiseaux tout neufs ont grandi pendant douze mois,
Alors qu'il y a un an, ou moins de deux,
Ils n'étaient ni pinsons, ni rossignols,
   ni grives,
Mais seulement des particules de grain,
   de terre, d'air et de pluie.

« Il n'y a pas grand-chose que je puisse faire,
car je n'ai pas un sou vaillant ! »
Disait l'enfant plein de pitié -
Un petit garçon avec un violon
À la gare avant l'arrivée du train, -
« Mais je peux te jouer de mon violon,
Et c’en est un beau, bien accordé ! »
 
L'homme aux menottes a souri ;
Le policier a regardé, et il a souri, aussi,
Le violon a commencé à résonner ;
Et l'homme aux menottes a soudainement chanté
Avec une joie sinistre :
   « Cette vie si libre
   Est faite pour moi ! »
Et le policier a souri, et n'a pas dit un mot,
Comme s'il était inconscient de ce qu'il avait entendu ;
Et ils continuèrent ainsi jusqu'à l'arrivée du train -
Le condamné, et le garçon avec le violon.

Il fut un temps - comme on peut s’imaginer
Et, en effet, la terre en témoigne -
Avant la naissance de la conscience,
Où tout allait bien.
 
Personne ne souffrait de maladie, d'amour ou de perte,
Nul ne connaissait le regret, l'espoir déchu, ou le feu du cœur ;
Personne ne se souciait des chocs ou des obstacles
Qui désordonnaient les choses.
 
Si une chose cessait, aucune langue ne se lamentait,
Si une chose se fanait, aucun cœur ne se serrait ;
Si la lumière s'atténuait et les ténèbres dominaient,
Aucune raison n’en était blessée.
 
Mais la maladie des sentiments s’est déclarée,
Et le bien premier a pris la teinte du mal ;
Avant que la nescience ne soit réaffirmée.
Combien de temps, combien de temps ?