by Louis Charles Alfred de Musset (1810 - 1857)
On dit :Triste comme la porte
Language: French (Français)
On dit : « Triste comme la porte D’une prison. » — Et je crois, le diable m’emporte, Qu’on a raison. D’abord, pour ce qui me regarde, Mon sentiment Est qu’il vaut mieux monter sa garde, Décidément. Je suis, depuis une semaine, Dans un cachot, Et je m’aperçois avec peine Qu’il fait très-chaud. Je vais bouder à la fenêtre. Tout en fumant ; Le soleil commence à paraître Tout doucement. C’est une belle perspective, De grand matin, Que des gens qui font la lessive Dans le lointain. Pour se distraire, si l’on bâille, On aperçoit D’abord une longue muraille, Puis un long toit. Ceux à qui ce séjour tranquille Est inconnu Ignorent l’effet d’une tuile Sur un mur nu. Je n’aurais jamais cru moi-même, Sans l’avoir vu, Ce que ce spectacle suprême A d’imprévu. Pourtant les rayons de l’automne Jettent encor Sur ce toit plat et monotone Un réseau d’or. Et ces cachots n’ont rien de triste, Il s’en faut bien : Peintre ou poëte, chaque artiste Y met du sien. De dessins, de caricatures, Ils sont couverts. Çà et là quelques écritures Semblent des vers. Chacun tire une rêverie De son bonnet : Celui-ci, la Vierge Marie ; L’autre, un sonnet. Là, c’est Madeleine en peinture, Pieds nus, qui lit ; Vénus rit sous la couverture, Au pied du lit. Plus loin, c’est la Foi, l’Espérance, La Charité, Grands croquis faits-à toute outrance, Non sans beauté. Une Andalouse assez gaillarde, Au cou mignon, Est dans un coin qui vous regarde D’un air grognon. Celui qui fit, je le présume, Ce médaillon, Avait un gentil brin de plume À son crayon[1]. Le Christ regarde Louis-Philippe D’un air surpris ; Un bonhomme fume sa pipe Sur le lambris. Ensuite vient un paysage Très-compliqué, Où l’on voit qu’un monsieur très-sage S’est appliqué. Dirai-je quelles odalisques Les peintres font, À leurs très-grands périls et risques, Jusqu’au plafond ? Toutes ces lettres effacées Parlent pourtant ; Elles ont vécu, ces pensées, Fût-ce un instant. Que de gens, captifs pour une heure, Tristes ou non. Ont à cette pauvre demeure Laissé leur nom ! Sur ce vieux lit où je rimaille Ces vers perdus ; Sur ce traversin où je bâille À bras tendus, Combien d’autres ont mis leur tête, Combien ont mis Un pauvre corps, un cœur honnête Et sans amis ! Qu’est-ce donc ? en rêvant à vide Contre un barreau, Je sens quelque chose d’humide Sur le carreau. Que veut donc dire cette larme Qui tombe ainsi, Et coule de mes yeux sans charme Et sans souci ? Est-ce que j’aime ma maîtresse ? Non, par ma foi ! Son veuvage ne l’intéresse Pas plus que moi. Est-ce que je vais faire un drame ? Par tous les dieux ! Chanson pour chanson, une femme Vaut encor mieux. Sentirais-je quelque ingénue Velléité D’aimer cette belle inconnue, La Liberté ? On dit, lorsque ce grand fantôme Est verrouillé, Qu’il a l’air triste comme un tome Dépareillé. Est-ce que j’aurais quelque dette ? Mais, Dieu merci ! Je suis en lieu sûr ; on n’arrête Personne ici. Cependant cette larme coule, Et je la vois Qui brille en tremblant, et qui roule Entre mes doigts. Elle a raison, elle veut dire : Pauvre petit, À ton insu ton cœur respire Et t’avertit Que le peu de sang qui l’anime Est ton seul bien, Que tout le reste est pour la rime Et ne dit rien. Mais nul être n’est solitaire, Même en pensant, Et Dieu n’a pas fait pour te plaire Ce peu de sang. Lorsque tu railles ta misère D’un air moqueur, Tes amis, ta sœur et ta mère Sont dans ton cœur. Cette pâle et faible étincelle Qui vit en toi, Elle marche, elle est immortelle, Et suit sa loi. Pour la transmettre, il faut soi-même La recevoir, Et l’on songe à tout ce qu’on aime, Sans le savoir.
A. Gouzien sets stanzas 1-8, 22-23, 25-32, 35
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Confirmed with Alfred de Musset, Poésies nouvelles (1836-1852), Charpentier, 1857, pages 201-206).
Note: First appeared in La Revue des Deux Mondes, October 1, 1843, and then in Poésies nouvelles, 1850.
Text Authorship:
- by Louis Charles Alfred de Musset (1810 - 1857), "Le Mie Prigioni", written 1842, appears in Poésies nouvelles, first published 1843 [author's text checked 1 time against a primary source]
Musical settings (art songs, Lieder, mélodies, (etc.), choral pieces, and other vocal works set to this text), listed by composer (not necessarily exhaustive):
- by Armand Gouzien (1839 - 1892), "Mie Prigioni", stanzas 1-8,22-23,25-32,35 [ medium voice and piano ], Paris, Éd. 'Au Ménestrel' Heugel [sung text not yet checked]
Researcher for this text: Emily Ezust [Administrator]
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