by Maurice Bouchor (1855 - 1929)
Le bois antique et jeune encore
Language: French (Français)
I Le bois antique et jeune encore Dans sa beauté calme apparaît, Empourpré de lueurs d'aurore : Salut, chênes de la forêt ! Vous vivez entre deux abîmes, Plongeant [du pied]1 sous le sol dur, Et portant vos têtes sublimes Au cœur de l'immortel azur. Vous avez la grâce et la force, Car les oiseaux vous font chanter, Et sur votre rugueuse écorce L'effort du temps vient avorter. Aussi, malgré la bise noire, L'hiver nu, le stérile été, Vous portez fièrement la gloire De votre verte éternité ! II Mais vous, les géants vainqueurs des tempêtes. N'avez-vous parfois envié nos sorts, Lorsque vous voyez, inclinant vos têtes, Mes chères amours qu'en mes bras j'endors? Et n'avez-vous pas désiré, grands chênes, Votre liberté, pour marcher un jour A travers la vie, et, rompant vos chaînes, Vous jeter aux bras d'un vivant amour? Le calme éternel peut-être vous lasse ; La séve bouillonne en vos bras nerveux ; Et vous secouez alors dans l'espace Frénétiquement vos sombres cheveux! III Et puis vous pénétrez dans la cité malsaine, Taillés et façonnés par quelque rude main, Vous courbez votre orgueil devant l'orgueil humain, Et vous voilà faits lits d'un lupanar obscène. Ou bien, noirs de charbon, vous voguez sur la Seine, Avec les grands quais droits et nus pour seul chemin. Hier, un vieillard vous prit pour béquilles ; demain, Cercueils, vous jugerez notre dernière scène. Peut-être vous prendrez notre vie en pitié ; La douleur en remplit au moins une moitié, Et le reste à courir au hasard se disperse. Et vous vous souviendrez des nuits de frais sommeil, Des feuillages profonds qu'un gai rayon d'or perce, Et de votre existence immobile au soleil IV Mais malheur aux vaincus! L'homme dit: « Peu m'importe ; Je suis le roi du monde, et n'ai point de remord ; Je ne prends pas l'avis de cette forêt morte. « Et, comme les sultans trop au-dessus du sort Pour admettre personne à boire dans leur verre, Je veux vivre tout seul, sans témoin, ni support. « Pas de murmure, ici ! je suis un roi sévère Devant qui la matière est sur ses deux genoux ; Je ne veux point qu'on m'aide, et veux qu'on me révère. « Vous, chênes, mes aînés, ne soyez point jaloux ; Je pourrais vous tailler, vous plier, vous détruire, Et vous faire sauter en l'air comme des clous. « Dans les ouragans noirs vous aurez beau bruire, Lorsque j'emboucherai ma trompette ou mon cor Vous vous tairez, sachant que ma torche va luire. « Ah! vous fouillez le sol ! j'irai plus bas encor : Je plongerai mon poing dans le sein de ma mère, Et l'en sortirai plein de diamant et d'or. « Ah ! vous percez le ciel ! Malgré la bise amère, Et la trombe et la nuit, je l'escaladerai, Monté sur le Réel, et non sur la Chimère! « Tu vois bien que je suis le plus fort, bois sacré Que ne protège plus la sombre Proserpine ; Le Druide est lui-même à tes pieds enterré. « Donc, à moi seul, à moi le viol et la rapine ! Qui voudra m'arrêter dans mon nouveau chemin, Je saurai lui tresser sa couronne d'épine. « Sur les grandes forêts posant ma large main, Pour voguer, pour courir, j'aurai de la matière ; Et si mon corps, ailé, peut s'envoler demain, « Je planerai, vainqueur de la nature entière. »
A. Gédalge sets stanzas 1-5
About the headline (FAQ)
View original text (without footnotes)1 Gédalge: "vos pieds"
Authorship:
- by Maurice Bouchor (1855 - 1929), no title, appears in Les chansons joyeuses - poésies, in Dans la forêt, no. 23, first published 1874 [author's text checked 1 time against a primary source]
Musical settings (art songs, Lieder, mélodies, (etc.), choral pieces, and other vocal works set to this text), listed by composer (not necessarily exhaustive):
- by André Gédalge (1856 - 1926), "Aux chênes", op. 22 no. 12 (1902), published 1903?, stanzas 1-5 [ high voice and piano ], from Dans la forêt - Poèmes de Maurice Bouchor, no. 12, Paris: Enoch & Cie. [sung text checked 1 time]
Researcher for this text: Emily Ezust [Administrator]
This text was added to the website: 2011-02-01
Line count: 77
Word count: 572