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by André Gide (1869 - 1951)

La Réprimande du Père
Language: French (Français) 
Mon Dieu, comme un enfant je m'agenouille devant vous aujourd'hui, le
visage trempé de larmes. Si je me remémore et transcris ici votre
pressante parabole, c'est que je sais quel était votre enfant prodigue
; c'est qu'en lui je me vois ; que j'entends en moi, parfois et répète
en secret ces paroles que, du fond de sa grande détresse, vous lui
faites crier :

-- Combien de mercenaires de mon père ont chez lui le pain en
   abondance ; et moi je meurs de faim !

J'imagine l'étreinte du Père ; à la chaleur d'un tel amour mon cœur
fond. J'imagine une précédente détresse, même ; ah ! j'imagine tout ce
qu'on veut. Je crois cela ; je suis celui-là même dont le cœur bat
quand, au défaut de la colline, il revoit les toits bleus de la maison
qu'il a quittée. Qu'est-ce donc que j'attends pour m'élancer vers la
demeure ; pour entrer ? -- On m'attend. Je vois déjà le veau gras
qu'on apprête… Arrêtez ! ne dressez pas trop vite le festin ! -- Fils
prodigue, je songe à toi ; dis-moi d'abord ce que t'a dit le Père, le
lendemain, après le festin du revoir. Ah ! malgré que le fils aîné
vous souffle, Père, puissé-je entendre votre voix, parfois, à travers
ses paroles !

-- Mon fils, pourquoi m'as-tu quitté ?

-- Vous ai-je vraiment quitté ? Père ! n'êtes vous pas partout ?
   jamais je n'ai cessé de vous aimer.

-- N'ergotons pas. J'avais une maison qui t'enfermait. Elle était
   élevée pour toi. Pour que ton âme y puisse trouver un abri, un luxe
   digne d'elle, du confort, un emploi, des générations
   travaillèrent. Toi, l'héritier, le fils, pourquoi t'être évadé de
   la Maison ?

-- Parce que la Maison m'enfermait. La Maison, ce n'est pas Vous, mon Père.

-- C'est moi qui l'ai construite, et pour toi.

-- Ah ! Vous n'avez pas dit cela, mais mon frère. Vous, vous avez
   construit toute la terre, et la Maison et ce qui n'est pas la
   Maison. La Maison, d'autres que vous l'ont construite ; en votre
   nom, je sais, mais d'autres que vous.

-- L'homme a besoin d'un toit sous lequel reposer sa tête. Orgueilleux
   ! Penses-tu pouvoir dormir en plein vent ?

-- Y faut-il tant d'orgueil ? de plus pauvres que moi l'ont bien fait.

-- Ce sont les pauvres. Pauvre, tu ne l'es pas. Nul ne peut abdiquer
   sa richesse. Je t'avais fait riche entre tous.

-- Mon père, vous savez bien qu'en partant j'avais emporté tout ce que
   j'avais pu de mes richesses. Que m'importent les biens qu'on ne
   peut emporter avec soi ?

-- Toute cette fortune emportée, tu l'as dépensée follement.

-- J'ai changé votre or en plaisirs, vos préceptes en fantaisie, ma
   chasteté en poésie, et mon austérité en désirs.

-- Était-ce pour cela que tes parents économes s'employèrent à
   distiller en toi tant de vertu ?

-- Pour que je brûle d'une flamme plus belle, peut-être, une nouvelle
   ferveur m'allumant.

-- Songe à cette pure flamme que vit Moïse, sur le buisson sacré :
   elle brillait mais sans consumer.

-- J'ai connu l'amour qui consume.

-- L'amour que je veux t'enseigner rafraîchit. Au bout de peu de
   temps, que t'est-il resté, fils prodigue ?

-- Le souvenir de ces plaisirs.

-- Et le dénûment qui les suit.

-- Dans ce dénûment, je me suis senti près de vous, Père.

-- Fallait-il la misère pour te pousser à revenir à moi ?

-- Je ne sais ; je ne sais. C'est dans l'aridité du désert que j'ai le
   mieux aimé ma soif.

-- Ta misère te fit mieux sentir le prix des richesses.

-- Non, pas cela ! Ne m'entendez-vous pas, mon père ? Mon cœur, vidé
   de tout, s'emplit d'amour. Au prix de tous mes biens, j'avais
   acheté la ferveur.

-- Étais-tu donc heureux loin de moi ?

-- Je ne me sentais pas loin de vous.

-- Alors qu'est-ce qui t'a fait revenir ? Parle.

-- Je ne sais. Peut-être la paresse.

-- La paresse, mon fils ! Eh quoi ! Ce ne fut pas l'amour ?

-- Père, je vous l'ai dit, je ne vous aimai jamais plus qu'au
   désert. Mais j'étais las, chaque matin, de poursuivre ma
   subsistance. Dans la maison, du moins, on mange bien.

-- Oui, des serviteurs y pourvoient. Ainsi, ce qui t'a ramené, c'est
   la faim.

-- Peut-être aussi la lâcheté, la maladie… À la longue cette
   hasardeuse nourriture m'affaiblit ; car je me nourrissais de fruits
   sauvages, de sauterelles et de miel. Je supportais de plus en plus
   mal l'inconfort qui d'abord attisait ma ferveur. La nuit, quand
   j'avais froid, je songeais que mon lit était bien bordé chez mon
   père ; quand je jeûnais, je songeais que, chez mon père,
   l'abondance des mets servis outrepassait toujours ma faim. J'ai
   fléchi ; pour lutter plus longtemps je ne me sentais plus assez
   courageux, assez fort, et cependant…

-- Donc le veau gras d'hier t'a paru bon ? Le fils prodigue se jette
   en sanglotant le visage contre terre :

-- Mon père ! mon père ! Le goût sauvage des glands doux demeure
   malgré tout dans ma bouche. Rien n'en saurait couvrir la saveur.

-- Pauvre enfant ! -- reprend le père qui le relève, -- je t'ai parlé
   peut-être durement. Ton frère l'a voulu ; ici c'est lui qui fait la
   loi. C'est lui qui m'a sommé de te dire : « Hors la Maison, point
   de salut pour toi. » Mais écoute : C'est moi qui t'ai formé ; ce
   qui est en toi, je le sais. Je sais ce qui te poussait sur les
   routes ; je t'attendais au bout. Tu m'aurais appelé… j'étais là.

-- Mon père ! j'aurais donc pu vous retrouver sans revenir ?…

-- Si tu t'es senti faible, tu as bien fait de revenir. Va maintenant
   ; rentre dans la chambre que j'ai fait préparer pour toi. Assez
   pour aujourd'hui ; repose-toi ; demain tu pourras parler à ton
   frère.

Confirmed with André Gide, Vers et Prose, March-May 1907, in Le Retour de l'enfant prodigue. Note: this is a prose text. Line breaks have been added arbitrarily.


Text Authorship:

  • by André Gide (1869 - 1951), "La Réprimande du Père", appears in Le Retour de l'enfant prodigue, no. 2, first published 1907 [author's text checked 1 time against a primary source]

Musical settings (art songs, Lieder, mélodies, (etc.), choral pieces, and other vocal works set to this text), listed by composer (not necessarily exhaustive):

    [ None yet in the database ]

Settings in other languages, adaptations, or excerpts:

  • Also set in German (Deutsch), a translation by Rainer Maria Rilke (1875 - 1926) , "Der Verweis des Vaters", written 1912, appears in Die Rückkehr des verlorenen Sohnes, no. 2 ; composed by Hermann Reutter.
      • Go to the text.

Researcher for this text: Emily Ezust [Administrator]

This text was added to the website: 2023-09-20
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