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by André Gide (1869 - 1951)

Dialogue avec le Frère Puîné
Language: French (Français) 
C'est, à côté de celle du prodigue, une chambre point étroite aux murs
nus. Le prodigue, une lampe à la main, s'avance près du lit où son
frère puîné repose, le visage tourné vers le mur. Il commence à voix
basse, afin, si l'enfant dort, de ne pas le troubler dans son sommeil.

-- Je voudrais te parler, mon frère.

-- Qu'est-ce qui t'en empêche ?

-- Je croyais que tu dormais.

-- On n'a pas besoin de dormir pour rêver.

-- Tu rêvais ; à quoi donc ?

-- Que t'importe ! Si déjà moi je ne comprends pas mes rêves, ce n'est
   pas toi, je pense, qui me les expliqueras.

-- Ils sont donc bien subtils ? Si tu me les racontais, j'essaierais.

-- Tes rêves, est-ce que tu les choisis ? Les miens sont ce qu'ils
   veulent, et plus libres que moi… Qu'est-ce que tu viens faire ici ?
   Pourquoi tue déranger dans mon sommeil ?

-- Tu ne dors pas, et je viens te parler doucement.

-- Qu'as-tu à me dire ?

-- Rien, si tu le prends sur ce ton.

-- Alors adieu.

Le prodigue va vers la porte, mais pose à terre la lampe qui n'éclaire
plus que faiblement la pièce, puis, revenant, s'assied au bord du lit
et, dans l'ombre, caresse longuement le front détourné de l'enfant.

-- Tu me réponds plus durement que je ne fis jamais à ton
   frère. Pourtant je protestais aussi contre lui.

L'enfant rétif s'est redressé brusquement.

-- Dis : c'est le frère qui t'envoie ?

-- Non, petit ; pas lui, mais notre mère.

-- Ah ! Tu ne serais pas venu de toi-même.

-- Mais je viens pourtant en ami. À demi soulevé sur son lit, l'enfant
   regarde fixement le prodigue.

-- Comment quelqu'un des miens saurait-il être mon ami ?

-- Tu te méprends sur notre frère…

-- Ne me parle pas de lui ! Je le hais… mon cœur, contre lui,
   s'impatiente. Il est cause que je t'ai répondu durement.

-- Comment cela ?

-- Tu ne comprendrais pas.

-- Dis cependant…

Le prodigue berce son frère contre lui, et déjà l'enfant adolescent
s'abandonne :

-- Le soir de ton retour, je n'ai pas pu dormir. Toute la nuit je
   songeais : J'avais un autre frère, et je ne le savais pas… C'est
   pour cela que mon cœur a battu si fort, quand, dans la cour de la
   maison, je t'ai vu t'avancer couvert de gloire.

-- Hélas ! j'étais couvert alors de haillons.

-- Oui, je t'ai vu ; mais déjà glorieux. Et j'ai vu ce qu'a fait notre
   père : il a mis à ton doigt un anneau, un anneau tel que n'en a pas
   notre frère. Je ne voulais interroger à ton sujet personne ; je
   savais seulement que tu revenais de très loin, et ton regard, à
   table…

-- Étais-tu du festin ?

-- Oh ! je sais bien que tu ne m'as pas vu ; durant tout le repas tu
   regardais au loin sans rien voir. Et, que le second soir tu aies
   été parler au père, c'était bien, mais le troisième…

-- Achève.

-- Ah ! ne fût-ce qu'un mot d'amour tu aurais pourtant bien pu me le
   dire !

-- Tu m'attendais donc ?

-- Tellement ! Penses-tu que je haïrais à ce point notre frère si tu
   n'avais pas été causer et si longuement avec lui ce soir-là ?
   Qu'est-ce que vous avez pu vous dire ? Tu sais bien, si tu me
   ressembles, que tu ne peux rien avoir de commun avec lui.

-- J'avais eu de graves torts envers lui.

-- Se peut-il ?

-- Du moins envers notre père et notre mère. Tu sais que j'avais fui
   de la maison.

-- Oui, je sais. Il y a longtemps n'est-ce pas ?

-- À peu près quand j'avais ton âge.

-- Ah !… Et c'est là ce que tu appelles tes torts ?

-- Oui, ce fut là mon tort, mon péché.

-- Quand tu partis, sentais-tu que tu faisais mal ?

-- Non ; je sentais en moi comme une obligation de partir.

-- Que s'est-il donc passé depuis ? pour changer ta vérité d'alors en
   erreur.

-- J'ai souffert.

-- Et c'est cela qui te fait dire : j'avais tort ?

-- Non, pas précisément : c'est cela qui m'a fait réfléchir.

-- Auparavant tu n'avais donc pas réfléchi ?

-- Si, mais ma débile raison s'en laissait imposer par mes désirs.

-- Comme plus tard par la souffrance. De sorte qu'aujourd'hui, tu
   reviens… vaincu.

-- Non, pas précisément ; résigné.

-- Enfin, tu as renoncé à être celui que tu voulais être.

-- Que mon orgueil me persuadait d'être.

L'enfant reste un instant silencieux, puis brusquement sanglote et
crie :

-- Mon frère ! je suis celui que tu étais en partant. Oh ! dis :
   n'as-tu donc rencontré rien que de décevant sur la route ? Tout ce
   que je pressens au dehors, de différent d'ici, n'est-ce donc que
   mirage ? tout ce que je sens en moi de neuf, que folie ? Dis :
   qu'as-tu rencontré de désespérant sur ta route ? Oh ! qu'est-ce qui
   t'a fait revenir ?

-- La liberté que je cherchais, je l'ai perdue ; captif, j'ai dû
   servir.

-- Je suis captif ici.

-- Oui, mais servir de mauvais maîtres ; ici, ceux que tu sers sont
   tes parents.

-- Ah ! servir pour servir, n'a-t-on pas cette liberté de choisir du
   moins son servage ?

-- Je l'espérais. Aussi loin que mes pieds m'ont porté, j'ai marché,
   comme Saül à la poursuite de ses ânesses, à la poursuite de mon
   désir ; mais, où l'attendait un royaume, c'est la misère que j'ai
   trouvée. Et pourtant…

-- Ne t'es-tu pas trompé de route ?

-- J'ai marché devant moi.

-- En es-tu sûr ? Et pourtant il y a d'autres royaumes, encore, et des
   terres sans roi, à découvrir.

-- Qui te l'a dit ?

-- Je le sais. Je le sens. Il me semble déjà que j'y domine.

-- Orgueilleux !

-- Ah ! ah ! ça c'est ce que t'a dit notre frère. Pourquoi, toi, me le
   redis-tu maintenant ? Que n'as-tu gardé cet orgueil ! Tu ne serais
   pas revenu.

-- Je n'aurais donc pas pu te connaître.

-- Si, si, là-bas, où je t'aurais rejoint, tu m'aurais reconnu pour
   ton frère ; même il me semble encore que c'est pour te retrouver
   que je pars.

-- C'est le porcher qui me la rapporta l'autre soir, après n'être pas
   rentré de trois jours.

-- Oui, c'est une grenade sauvage.

-- Je le sais ; elle est d'une âcreté presque affreuse ; je sens
   pourtant que, si j'avais suffisamment soif, j'y mordrais.

-- Ah ! je peux donc te le dire à présent : c'est cette soif que dans
   le désert je cherchais.

-- Une soif dont seul ce fruit non sucré désaltère…

-- Non ; mais il fait aimer cette soif.

-- Tu sais où le cueillir ?

-- C'est un petit verger abandonné, où l'on arrive avant le
   soir. Aucun mur ne le sépare plus du désert. Là coulait un ruisseau
   ; quelques fruits demi-mûrs pendaient aux branches.

-- Quels fruits ?

-- Les mêmes que ceux de notre jardin ; mais sauvages. Il avait fait
   très chaud tout le jour.

-- Écoute ; sais-tu pourquoi je t'attendais ce soir ? C'est avant la
   fin de la nuit que je pars. Cette nuit ; cette nuit, dès qu'elle
   pâlira… J'ai ceint, mes reins, j'ai gardé cette nuit mes sandales.

-- Quoi ! ce que je n'ai pas pu faire, tu le feras ?…

-- Tu m'as ouvert la route, et de penser à toi me soutiendra.

-- À moi de t'admirer ; à toi de m'oublier, au
   contraire. Qu'emportes-tu ?

-- Tu sais bien que, puîné, je n'ai point part à l'héritage. Je pars
   sans rien.

-- Que tu pars ?

-- Ne l'as-tu pas compris ? Ne m'encourages-tu pas toi-même à partir ?

-- Je voudrais t'épargner le retour ; mais en t'épargnant le départ.

-- Non, non, ne me dis pas cela ; non ce n'est pas cela que tu veux
   dire. Toi aussi, n'est-ce pas, c'est comme un conquérant que tu
   partis.

-- Et c'est ce qui me fit paraître plus dur le servage.

-- Alors, pourquoi t'es-tu soumis ? Étais-tu si fatigué déjà ?

-- Non, pas encore ; mais j'ai douté.

-- Que veux-tu dire ?

-- Douté de tout, de moi ; j'ai voulu m'arrêter, m'attacher enfin
   quelque part ; le confort que me promettait ce maître m'a tenté…
   oui, je le sens bien à présent ; j'ai failli.

Le prodigue incline la tête et cache son dans ses mains.

-- Mais d'abord ?

-- J'avais marché longtemps à travers la grande terre indomptée.

-- Le désert ?

-- Ce n'était pas toujours le désert.

-- Qu'y cherchais-tu ?

-- Je ne le comprends plus moi-même.

-- Lève-toi de mon lit. Regarde, sur la table, à mon chevet, là, près
   de ce livre déchiré.

-- Je vois une grenade ouverte.

-- C'est mieux.

-- Que regardes-tu donc à la croisée ?

-- Le jardin où sont couchés nos parents morts.

-- Mon frère… (et l'enfant, qui s'est levé du lit, pose, autour du cou
   du prodigue, son bras qui se fait aussi doux que sa voix) -- Pars
   avec moi.

-- Laisse-moi ! laisse-moi ! je reste à consoler notre mère. Sans moi
   tu seras plus vaillant. Il est temps à présent. Le ciel pâlit. Pars
   sans bruit. Allons ! embrasse-moi, mon jeune frère : tu emportes
   tous mes espoirs. Sois fort ; oublie-nous ; oublie-moi. Puisses-tu
   ne pas revenir… Descends doucement. Je tiens la lampe…

-- Ah ! donne-moi la main jusqu'à la porte.

-- Prends garde aux marches du perron…

Confirmed with André Gide, Vers et Prose, March-May 1907, in Le Retour de l'enfant prodigue. Note: this is a prose text. Line breaks have been added arbitrarily.


Text Authorship:

  • by André Gide (1869 - 1951), "Dialogue avec le Frère Puîné", appears in Le Retour de l'enfant prodigue, no. 5, first published 1907 [author's text checked 1 time against a primary source]

Musical settings (art songs, Lieder, mélodies, (etc.), choral pieces, and other vocal works set to this text), listed by composer (not necessarily exhaustive):

    [ None yet in the database ]

Settings in other languages, adaptations, or excerpts:

  • Also set in German (Deutsch), a translation by Rainer Maria Rilke (1875 - 1926) , "Das Zwiegespräch mit dem jüngeren Bruder", written 1912, appears in Die Rückkehr des verlorenen Sohnes, no. 5 ; composed by Anton Maria Klafsky, Hermann Reutter.
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Researcher for this text: Emily Ezust [Administrator]

This text was added to the website: 2023-09-20
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