by Pierre de Ronsard (1524 - 1585)
Je veux chanter en ces vers ma tristesse
Language: French (Français)
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Je veux chanter en ces vers ma tristesse: Car autrement chanter je ne pourrois, Veu que je suis absent de ma maistresse: Si je chantois autrement, je mourrois. Pour ne mourir il faut donc que je chante En chants piteux ma plaintive langueur, Pour le départ de ma maistresse absente, Qui de mon sein m'a desrobé le coeur. Desja l'Esté, et Ceres la blêtiere, Ayant le front orné de son present, Ont ramené la moisson nourricière Depuis le temps que d'elle suis absent, Loin de ses yeux dont la lumiere belle Seule pourroit guarison me donner: Et si j'estois là bas en la nacelle, Me pourroit faire au monde retourner. Mais ma raison est si bien corrompue Par une fausse imagination, Que nuict et jour je la porte en la veuë, Et sans la voir j'en ay la vision. Comme celuy qui contemple les nues, Fantastiquant mille monstres bossus, Hommes, oiseaux, et Chimeres cornues, Tant par les yeux nos esprits sont deceus. Et comme ceux, qui d'une haleine forte, En haute mer, à puissance de bras Tirent la rame, ils l'imaginent torte, Et toutefois la rame ne l'est pas: Ainsi je voy d'une oeillade trompée Cette beauté, dont je suis depravé, Qui par les yeux dedans l'ame frapée, M'a vivement son portrait engravé. Et soit que j'erre au plus haut des montaignes Ou dans un bois, loing de gens et de bruit, Soit au rivage, ou parmy les campaignes, Tousjours à l'oeil ce beau portrait me suit, Si j'apperçoy quelque champ qui blondoye D'espics frisez au travers des sillons, Je pense voir ses beaux cheveux de soye Espars au vent en mille crespillons. Si le Croissant au premier mois j'avise, Je pense voir son sourcil ressemblant A l'arc d'un Turc, qui la sagette a mise Dedans la coche, et menace le blanc. Quand à mes yeux les estoiles drilllantes Viennent la nuict en temps calme s'offrir, Je pense voir ses prunelles ardantes, Que je ne puis ny fuyr, ny souffrir. Quand j'apperçoy la rose sur l'espine, Je pense voir de ses lèvres le teint: La rose au soir de sa couleur decline, L'autre couleur jamais ne se desteint. Quand j'apperçoy les fleurs en quelque prée Ouvrir leur grace au lever du Soleil, Je pense voir de sa face pourprée S'espanouyr le beau lustre vermeil. Si j'apperçoy quelque chesne sauvage, Qui jusqu'au ciel éleve ses rameaux, Je pense voir sa taille et son corsage, Ses pieds, sa greve, et ses coudes jumeaux. Si j'entends bruire une fontaine claire, Je pense ouyr sa voix dessus le bord, Qui, se plaignant de ma triste misere, M'appelle à soy pour me donner confort. Voila comment pour estre fantastique, En cent façons ses beautez j'apperçoy, Et m'esjouis d'estre melancholique, Pour recevoir tant de formes en moy. Aimer vrayment est une maladie, Les medecins la sçavent bien juger, Nommant Amour fureur de fantaisie, Qui ne se peut par herbes soulager. J'aimerois mieux la fièvre dans mes veines, Ou quelque peste, ou quelqu'autre douleur, Que de souffrir tant d'amoureuses peines, Dont le bon-heur n'est sinon que malheur. Or va, Chanson, dans le sein de Marie, Pour l'asseurer, que ce n'est tromperie Des visions que je raconte icy, Qui me font vivre et mourir en soucy.
A. Bertrand sets lines 1-8
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- by Pierre de Ronsard (1524 - 1585), "Chanson" [author's text checked 1 time against a primary source]
Musical settings (art songs, Lieder, mélodies, (etc.), choral pieces, and other vocal works set to this text), listed by composer (not necessarily exhaustive):
- by Anthoine de Bertrand (1540? - 1581?), "Je veux chanter en ces vers", published 1578, first performed 1576, lines 1-8 [ vocal quartet a cappella ], from Les Amours de Pierre de Ronsard à 4 parties, Livre 2, no. 3 [sung text checked 1 time]
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- ENG English (David Wyatt) , copyright © 2014, (re)printed on this website with kind permission
Researcher for this text: Emily Ezust [Administrator]
This text was added to the website: 2010-10-28
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