by Joachim du Bellay (1525 - c1560)
La complainte du désespéré
Language: French (Français)
Our translations: ENG
Qui prestera la parolle A la douleur qui m'afolle ? Qui donnera les accens A la plainte qui me guyde ? Et qui laschera la bride A la fureur que je sens ? Qui baillera double force A mon âme, qui s'efforce De soupirer mes douleurs ? Et qui fera sur ma face D'une larmoyante trace Couler deux ruysseaux de pleurs ? Sus, mon cœur, ouvre ta porte. Affin que de mes yeux sorte Une mer à ceste foys Ores fault que tu te plaignes, Et qu'en tes larmes tu baignes Ces montaignes & ces boys. Et vous mes vers, dont la course A de sa première sourse Les sentiers habandonnez, Fuyez à bride avalée, Et la prochaine valée De vostre bruyt estonnez. Vostre eau, qui fut clere & lente Ores trouble & violente, Semblable à ma douleur soit, Et plus ne meslez vostre onde A l'or de l'arène blonde, Dont vostre fond jaunissoit. Mais qui sera la première ? Mais qui sera la dernière De voz plaintes ? O bons dieux ! La furie qui me domte, Las, je sens qu'elle surmonte Ma voix, ma langue & mes yeux. Au vaze estroict, qui dégoûte Son eau, qui veult sortir toute, Ores semblable je suis : Et fault (ô plainte nouvelle) Que mes plainctz je renovelle, Dont plaindre assez je ne puis. Quand toutes les eaux des nues Seraient larmes devenues, Et quand tous les ventz congnuz De la charette importune, Qui fend les champs de Neptune, Seroient soupirs devenuz : Quand toutes les voix encores Complaintes deviendroient ores, Si ne me suffiroient point Les pleurs, les soupirs, le plaindre, A vivement contrefeindre L'ennuy qui le cœur me poingt. Ainsi que la fleur cuillie Ou par la Bize assaillie Pert le vermeil de son teinct, En la fleur du plus doulx âage De mon palissant visage La vive couleur s'esteinct. Une languissante nue Me sille desja la vëue, Et me souvient en mourant Des doulces rives de Loyre, Qui les chansons de ma gloyre Alloit jadis murmurant : Alors que parmy la France Du beau Cygne de Florence J'alloys adorant les pas, Dont les plumes j'ay tirées, Qui des ailes mal cirées Le vol n'imiteront pas. Quel boys, quelle solitude, Tesmoing de l'ingratitude De l'archer malicieux, Ne resonne les alarmes Que les amoureuses larmes Font aux espris ocieux ? Les bledz ayment la rousée, Dont la plaine est arrousée : La vigne ayme les chaleurs, Les abeilles les fleurettes, Et les vaines amourettes Les complaintes & les pleurs. Mais la douleur véhémente, Qui maintenant me tormente, A repoussé loing de moy Telle fureur insensée, Pour enter en ma pensée Le trait d'un plus juste esmoy. Arrière, plaintes frivoles D'ung tas de jeunesses folles. Vous, ardens soupirs encloz, Laissez ma poictrine cuyte, Et traynez à vostre suyte Mile tragiques sangloz. Si l'injure desriglée De la fortune aveuglée, Si ung faulx bon-heur promis Par les faveurs journalières, Si les fraudes familières Des trop courtizans amis. Si la maison mal entière De cent procez héritière, Telle qu'on la peut nommer La gallere desarmée, Qui sans guide & mal ramée Vogue par la haulte mer : Si les passions cuyzantes A l'âme & au corps nuyzantes, Si le plus contraire effort D'une fiere destinée Si une vie obstinée Contre ung désir de la mort : Si la triste congnoissance De nostre fresle naissance, Et si quelque autre douleur Geynne la vie de l'homme, Je mérite qu'on me nomme L'esclave de tout malheur. Qu'ay-je depuis mon enfance Sinon toute injuste offence Senty de mes plus prochains ? Qui ma jeunesse passée Aux ténèbres ont laissée, Dont ores mes yeux sont plains. Et depuis que l'âge ferme A touché le premier terme De mes ans plus vigoreux, Las, hélas, quelle journée Peut onq' si mal fortunée Que mes jours les plus heureux ? Mes oz, mes nerfz & mes veines, Tesmoins secrez de mes peines, Et mile souciz cuyzans Avancent de ma vieillesse Le triste hyver, qui me blesse Devant l'esté de mes ans. Comme l'autonne saccage Les verdz cheveux du boccage A son triste advenement, Ainsi peu à peu s'efface Le crespe honneur de ma face Veufve de son ornement. Mon cœur ja devenu marbre En la souche d'ung vieil arbre A tous mes sens transmuez : Et le soing, qui me desrobe, Me faict semblable à Niobe Voyant ses enfans tuez. Quelle Medée ancienne Par sa voix magicienne M'a changé si promptement ? Fichant d'aiguilles cruelles Mes entrailles & moelles Serves de l'enchantement ? Armez vous contre elle donques, O vous mes vers ! & si onques La fureur vous enflamma, Faites luy sentir l'ïambe Dont contre l'ingrat Lycambe La rage Archiloq' arma. O nuict ! ô silence ! ô lune ! Que ceste vieille importune Ose du ciel arracher, Pourquoy ont la terre & l'onde, Mais pourquoy a tout le monde Conspiré pour me fâcher ? Ny toute l'herbe cuillie Par les champs de Thessalie, Ny les murmures secrez, Ny la verge enchanteresse, Dont la Dame vangeresse Tourna les visages Gréez : Ny les flambeaux qu'on allume Aux obsèques, ny la plume Des mortuaires oizeaux, Ny les oeufz qu'on teinct & mouille Dans le sang d'une grenouille, Ny les Avernales eaux : Ny les images de cire, Ny ce qui l'enfer attire, Ny tous les vers enchantez Par la vieille eschevelée D'une voix entremeslée Six & trois fois rechantez : Ny le menstrueux breuvage Meslé avecques la rage Qui s'enfle au front des chevaux, Ny les furies ensemble Enfanteroient (ce me semble) Le moindre de mes travaux. Moindre feu ne me consume, Et moindre peste ne hume La tiède humeur de mes oz, Que l'Herculienne flamme Ayant le don de sa femme Engravé dessus le doz. Les flotz courroussez, qui baignent Leurs rivages, qui se plaignent, Ne sont plus sourds que je suis : Ny ce peuple qui habite Ou le Nil se précipite Dedans la mer par sept huys. Les ventz, la pluye & l'orage N'exercent plus grand oultrage Sur les montz & sur les flotz, Que l'éternelle tempeste Qui brouille dedans ma teste Mile tourbillons encloz. Comme la foie prestresse, A qui le Cynthien presse 3Le cœur superbe & despit, Hérissant sa chevelure Contre-tourné son allure 6Par ung mouvement subit, Ainsi aveq' noire myne Tout furieux je chemine Par les champs plus eslongnez, Remaschant d'ung soucy grave Mile fureurs, que j'engrave Sur mes Zourciz renfrongnez. Tel est le Thebain Panthée, Quand son âme espouantée Voit le soleil redoublé : Tel, le vangeur de son père, Quand les serpents de sa mère Luy ont son esprit troublé. D'une entre-suyvante fuyte Il adjourne & puys annuyte : L'an d'ung mutuel retour Ses quatre saisons rameine : Et après la lune pleine Le croissant luist à son tour. Tout ce que le ciel entourne, Fuyt, refuyt, tourne & retourne, Comme les flotz blanchissans, Que la mer venteuse pousse, Alors qu'elle se courrousse Contre ses bords gemissans. Chacune chose décline Au lieu de son origine : Et l'an, qui est coustumier De faire mourir & naistre, Ce qui feut rien, avant qu'estre, Reduict à son rien premier. Mais la tristesse profonde, Qui d'ung pie ferme se fonde Au plus secret de mon cœur, Seule immuable demeure, Et contre moy d'heure en heure Acquiert nouvelle vigueur. Ainsi la flamme allumée, Que les ventz animée, Forcenant cruellement, En mile poinctes s'eslance, Dédaignant la violence De son contraire élément. Quand l'obscurité desserre Ses aisles dessus la terre, Et quant le présent des Dieux Pour emmieller la peine, De toute la gent humaine Charme doulcement les yeux, Lors d'une horreur taciturne Dessoubz le voyle nocturne Tout se fait paisible & coy : Toute manière de beste Au sommeil courbe la teste Dedans son privé recoy. Mais le mal, qui me reveille, Ne permet que je sommeille Ung seul moment de la nuict, Sinon que l'ennuy m'assomme D'ung espoiiantable somme, Qui plus que le veiller nuyt. Puis quand l'aulbe se descouche De sa jaunissante couche Pour nous esclerer le jour, Avec moy s'esveille à l'heure Le soing rongeard, qui demeure En mon familier séjour : Ou tout cela que l'on nomme Les bienheuretez de l'homme, Ne me sçauroit esjouyr, Privé de l'aise qu'aporte A la vie demy-morte Le doulx plaisir de l'ouyr. Et si d'ung pas difficile Hors du triste domicile Je me trayne par les champs, Le soucy, qui m'accompaigne, Ensemence la campaigne De mile regrez tranchans. Si d'avanture j'arrive Sur la verdoyante rive, J'essourde le bruyt des eaux : Si au bois je me transporte, Soudain je ferme la porte Aux doulx goziers des oyzeaux. Jadis la tourbe sacrée, Qui sur le Loyr se recrée, Me daignoit bien quelquesfois Guyder au tour des rivages, Et par les antres sauvages, Imitateurs de ma voix : Mais or' toute espoiiantée Elle fuyt d'estre hantée De moy despit & félon, Indigne que ma poictrine Reçoyve soubz la courtine Les sainctz presentz d'Apollon. Mesmes la voix pitoyable, Dont la plainte larmoyable Rechante les derniers sons, Dure & sourde à ma semonce, Dédaigne toute response A mes piteuses chansons. Quelque part que je me tourne, Le long silence y séjourne Comme en ces temples devotz, Et comme si toutes choses Pesle mesle estoyent r'encloses Dedans leur premier Caos. Mettez moy donq' ou la tourbe Du peuple estonné se courbe Devant le sceptre des Roys, Et en tous les lieux encore Ou plus la France décore Et ses armes & ses loix : Mettez moy ou Ion accorde La contr'-accordante chorde Par les discordans accords, Et ou la beauté des dames Souffle les secrettes flammes Qui bruslent dedans le corps. Mettez moy (si bon vous semble) Ou la Delienne assemble Sa bande apprise au labeur, A cry, à cor & à suyte Pressant la légère fuyte Des cerfz aislez par la peur. Mettez moy ou Cytherée En la saison altérée Sa jeune troppe conduict, Et sans craindre la froidure Dessus l'humide verdure Baie au serain de la nuict. Mettez moy là ou florissent Les arbres qui se nourrissent Au beau séjour d'Alcinoys, Et là ou le riche Autonne D'une main prodigue donne L'honneur du front d'Acheloys. Mettez moy ou plus abonde Tout ce qui plus en ce monde Contente l'humain désir, Si ne pouray-je en tel aise Trouver plaisir qui me plaise, Que l'obstiné déplaisir. Hélas, pourquoy tant s'augmentent Les malheurs qui me tormentent Désespéré d'avoir mieux ? Ou pourquoy à les accroistre, Par trop les vouloir congnoistre, Suys-je tant ingénieux ? Heureux, qui a par augures Preveu les choses obscures ! Et trop plus heureux encor' En qui des Dieux la largesse A respandu la sagesse, Des cieux le plus beau trésor ! Combien (si nous estions sages) Se demonstrent de présages, Avant-coureurs de noz maulx ? Soit par injure céleste Par quelque perte moleste, Ou par mort des animaulx. Mais la pensée des hommes, Pendant que vivans nous sommes, Ignore le sort humain : La divine prescience Par certaine expérience Le tient cloz dedans sa main. Seroit-point déterminée Quelque vieille destinée Contre les espriz sacrez ? Mile, qui dessus Parnaze Beurent de l'eau de Pegaze Ont faict semblables regrez. De la Lyre Thracienne Et de rÀmphionnienne 3Les malheurs je ne diray. De l'aveuglé Sthesicore, Et du grand aveugle encore 6Les labeurs je n'escriray. Je tays la mort d'Eurypide, Et la tortue homicide. Je laisse encore la faim De ce misérable Plaute, Et les peines de la faulte De l'amoureux escrivain. Seulement me plaist escrire Comment le Dieu qui inspire Le troppeau musicien, Mortel, soubz habit champestre, Sept ans les bœufz mena paistre Au rivaige Amphrysien. Mauldicte donq' la lumière Qui m'esclaira la première, Puys que le ciel rigoreux Assujetit ma naissance A l'indomtable puissance D'ung astre si malheureux. O Dieux vangeurs, que Ion jure, Dieux, qui punissez l'injure 7D'une rompue amitié, Si les dévotes prières Pour les injustes misères 0Vous émeuvent à pitié, Las, pourquoy ne se retire De moy ce cruel martyre, Si mes innocentes mains, Pures de sang & rapines, Ne feurent onques inclines A rompre les droictz humains ? Je ne suys né de la race Qui dessus les montz de Thrace, O Dieux, s'arma contre vous, Ny de l'hoste abhominable Qui pour son forfaict damnable Accreut le nombre des loups. Je n'ay hanté le collège De ce larron sacrilège Qui feut premier inventeur De feindre la congnoissance De vostre divine essence Par ung visage menteur. Je ne suys né de la terre Qui en la Thebaine guerre 1Huma le sang fraternel, Dont le mutuel oultrage Tesmoigna l'aveugle rage 4De l'inceste paternel. D'une cruaulté nouvelle Je n'ay rompu la cervelle De mon père, & si n'ay pas De ses entrailles saillantes Remply les gorges sanglantes Par ung nocturne repas. Si mon innocente vie Ne feut onques asservie Aux serves affections, Si l'avare convoitize, Si l'ambicion n'attize Le feu de mes passions : Si pour destruire ung lignage Par escrit ou tesmoignage, Ma langue n'a point menty, Si au sang de l'homme juste Avecques le plus robuste Jamais je n'ay consenty : Si la vieille depiteuse Du mal d'autruy convoiteuse 5Si l'ire, si la ranqueur (Et si quelque autre furie A sur l'homme seigneurie) 8Ne m'ont affolé le cœur, 9 Divine majesté haulte, D'où me viennent, sans ma faulte, Tant de remors furieux ? O malheureuse innocence, Sur qui ont tant de licence Les astres injurieux ! Heureuse la créature Qui a fait sa sépulture Dans le ventre maternel ! Heureux celuy dont la vie En sortant s'est veu ravie Par un sommeil éternel ! Il n'a senty sur sa teste L'inévitable tempeste Dont nous sommes agitez, Mais asseuré du naufraige De bien loing sur le rivaige A veu les flotz irritez. Sus, mon âme, tourne arrière, Et borne icy la carrière De tes ingrates douleurs. Il est temps de faire espreuve, Si après la mort on treuve La fin de tant de malheurs. Ma vie désespérée A la mort délibérée Ja-desja se sent courir. Meure donques, meure, meure, Celuy qui vivant demeure, Mourant sans pouvoir mourir. Ainsi le Devin d'Adraste, Qui pour le filz d'Iôcaste Encontre Thebes s'arma, S'eslançoit de grand' audace Dedans l'horrible crevace, Qui sur luy se referma. Vous, à qui ces durs allarmes Arracheront quelques larmes, Soyez joyeux en tout temps, Ayez le ciel favorable, Et plus que moy, misérable, Vivez heureux & contens.
K. Miehling sets stanzas 1, 6
Text Authorship:
- by Joachim du Bellay (1525 - c1560), "La complainte du désespéré" [author's text checked 2 times against a primary source]
Musical settings (art songs, Lieder, mélodies, (etc.), choral pieces, and other vocal works set to this text), listed by composer (not necessarily exhaustive):
- by Klaus Miehling (b. 1963), "La complainte du désespéré", op. 47 no. 5 (1994), stanzas 1,6 [ SATB chorus ], from Douze Airs de cour à plusieurs voix, no. 5 [sung text checked 1 time]
Available translations, adaptations or excerpts, and transliterations (if applicable):
- ENG English (David Wyatt) , "The lament of the desperate", copyright © 2017, (re)printed on this website with kind permission
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