Oh ! laissez-moi ! c'est l'heure où l'horizon qui fume Cache un front inégal sous un cercle de brume, L'heure où l'astre géant rougit et disparaît. Le grand bois jaunissant dore seul la colline. On dirait qu'en ces jours où l'automne décline, Le soleil et la pluie ont rouillé la forêt. Oh ! qui fera surgir soudain, qui fera naître, Là-bas, -- tandis que seul je rêve à la fenêtre, Et que l'ombre s'amasse au fond du corridor, -- Quelque ville mauresque, éclatante, inouïe, Qui, comme la fusée en gerbe épanouie, Déchire ce brouillard avec ses flèches d'or ! Qu'elle vienne inspirer, ranimer, ô génies, Mes chansons, comme un ciel d'automne rembrunies, Et jeter dans mes yeux son magique reflet, Et longtemps, s'éteignant en rumeurs étouffées, Avec les mille tours de ses palais de fées, Brumeuse, denteler l'horizon violet !
Les Orientales, poèmes de Victor Hugo
Song Cycle by Marie Jaëll (1846 - 1925)
1. Rêverie  [sung text not yet checked]
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- by Victor Hugo (1802 - 1885), "Rêverie", written 1828, appears in Les Orientales, no. 36, first published 1829
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Researcher for this text: Emily Ezust [Administrator]2. Nourmahal‑la‑Rousse  [sung text not yet checked]
Entre deux rocs d'un noir d'ébène Voyez-vous ce sombre hallier Qui se hérisse dans la plaine Ainsi qu'une touffe de laine Entre les cornes du bélier ? Là, dans une ombre non frayée, Grondent, le tigre ensanglanté, La lionne, mère effrayée, Le chacal, l'hyène rayée, Et le léopard tacheté. Là, des monstres de toute forme Rampent : - le basilic rêvant, L'hippopotame au ventre énorme, Et le boa, vaste et difforme, Qui semble un tronc d'arbre vivant. L'orfraie aux paupières vermeilles, Le serpent, le singe méchant, Sifflent comme un essaim d'abeilles ; L'éléphant aux larges oreilles Casse les bambous en marchant. Là, vit la sauvage famille Qui glapit, bourdonne et mugit. Le bois entier hurle et fourmille. Sous chaque buisson un oeil brille, Dans chaque antre une voix rugit. Eh bien ! seul et nu sur la mousse, Dans ce bois-là je serais mieux Que devant Nourmahal-la-Rousse, Qui parle avec une voix douce Et regarde avec de doux yeux.
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- by Victor Hugo (1802 - 1885), "Nourmahal-la-Rousse", written 1828, appears in Les Orientales, no. 27, first published 1829
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Researcher for this text: Emily Ezust [Administrator]3. Clair de lune  [sung text not yet checked]
La lune était sereine et jouait sur les flots. — La fenêtre enfin libre est ouverte à la brise, La sultane regarde, et la mer qui se brise, Là-bas, d'un flot d'argent brode les noirs îlots. De ses doigts en vibrant s'échappe la guitare. Elle écoute... Un bruit sourd frappe les sourds échos. Est-ce un lourd vaisseau turc qui vient des eaux de Cos, Battant l'archipel grec de sa rame tartare ? Sont-ce des cormorans qui plongent tour à tour, Et coupent l'eau, qui roule en perles sur leur aile ? Est-ce un djinn qui là-haut siffle d'une voix grêle, Et jette dans la mer les créneaux de la tour ? Qui trouble ainsi les flots près du sérail des femmes ? — Ni le noir cormoran, sur la vague bercé, Ni les pierres du mur, ni le bruit cadencé Du lourd vaisseau, rampant sur l'onde avec des rames. Ce sont des sacs pesants, d'où partent des sanglots. On verrait, en sondant la mer qui les promène, Se mouvoir dans leurs flancs comme une forme humaine... — La lune était sereine et jouait sur les flots.
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- by Victor Hugo (1802 - 1885), "Clair de lune", written 1828, appears in Les Orientales, no. 10, first published 1829
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- ENG English (Garrett Medlock) , "Moonlight", copyright © 2020, (re)printed on this website with kind permission
4. Les Tronçons du serpent  [sung text not yet checked]
Je veille, et nuit et jour mon front rêve enflammé Ma joue en pleurs ruisselle, Depuis qu'Albaydé dans la tombe a fermé Ses beaux yeux de gazelle. Car elle avait quinze ans, un sourire ingénu, Et m'aimait sans mélange, Et quand elle croisait ses bras sur son sein nu, On croyait voir un ange ! Un jour, pensif, j'errais au bord d'un golfe, ouvert Entre deux promontoires, Et je vis sur le sable un serpent jaune et vert, Jaspé de taches noires. La hache en vingt tronçons avait coupé vivant Son corps que l'onde arrose, Et l'écume des mers que lui jetait le vent Sur son sang flottait rose. Tous ses anneaux vermeils rampaient en se tordant Sur la grève isolée, Et le sang empourprait d'un rouge plus ardent Sa crête dentelée. Ces tronçons déchirés, épars, près d'épuiser Leurs forces languissantes, Se cherchaient, se cherchaient, comme pour un baiser Deux bouches frémissantes ! Et comme je rêvais, triste et suppliant Dieu Dans ma pitié muette, La tête aux mille dents rouvrit son œil de feu, Et me dit : "O poëte ! "Ne plains que toi ! ton mal est plus envenimé, Ta plaie est plus cruelle ; Car ton Albaydé dans la tombe a fermé Ses beaux yeux de gazelle. "Ce coup de hache aussi brise ton jeune essor. Ta vie et tes pensées Autour d'un souvenir, chaste et dernier trésor, Se traînent dispersées. "Ton génie au vol large, éclatant, gracieux, Qui, mieux que l'hirondelle, Tantôt rasait la terre et tantôt dans les cieux Donnait de grands coups d'aile, "Comme moi maintenant, meurt près des flots troublés ; Et ses forces s'éteignent, Sans pouvoir réunir ses tronçons mutilés Qui rampent et qui saignent."
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- by Victor Hugo (1802 - 1885), "Les Tronçons du serpent", written 1828, appears in Les Orientales, no. 26
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Researcher for this text: Emily Ezust [Administrator]5. Malédiction  [sung text not yet checked]
Qu'il erre sans repos, courbé dès sa jeunesse, En des sables sans borne où le soleil renaisse Sitôt qu'il aura lui ! Comme un noir meurtrier qui fuit dans la nuit sombre, S'il marche, que sans cesse il entende dans l'ombre Un pas derrière lui ! En des glaciers polis comme un tranchant de hache, Qu'il glisse, et roule, et tombe, et tombe, et se rattache De l'ongle à leurs parois ! Qu'il soit pris pour un autre, et, râlant sur la roue, Dise : Je n'ai rien fait ! et qu'alors on le cloue Sur un gibet en croix ! Qu'il pense échevelé, la bouche violette ! Que, visible à lui seul, la mort, chauve squelette, Rie en le regardant ! Que son cadavre souffre, et vive assez encore Pour sentir, quand la mort le ronge et le dévore, Chaque coup de sa dent ! Qu'il ne soit plus vivant, et ne soit pas une âme : Que sur ses membres nus tombe un soleil de flamme Ou la pluie à ruisseaux ! Qu'il s'éveille en sursaut chaque nuit dans la brume, Et lutte, et se secoue, et vainement écume Sous des griffes d'oiseaux !
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- by Victor Hugo (1802 - 1885), "Malédiction", written 1828, appears in Les Orientales, no. 25, first published 1829
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Researcher for this text: Emily Ezust [Administrator]6. Vœu  [sung text not yet checked]
Si j'étais la feuille que roule L'aile tournoyante du vent, Qui flotte sur l'eau qui s'écoule, Et qu'on suit de l'œil en rêvant ; Je me livrerais, fraîche encore, De la branche me détachant, Au zéphir qui souffle à l'aurore, Au ruisseau qui vient du couchant. Plus loin que le fleuve, qui gronde, Plus loin que les vastes forêts, Plus loin que la gorge profonde, [Je fuirais, je courrais, j'irais]1 ! Plus loin que l'antre de la louve, Plus loin que le bois des ramiers, Plus loin que la plaine où l'on trouve Une fontaine et trois palmiers ; Par delà ces rocs qui répandent L'orage en torrent dans les blés ; Par delà ce lac morne où pendent Tant de buissons échevelés ; Plus loin que les terres arides Du chef maure au large ataghan, Dont le front pâle a plus de rides Que la mer un jour d'ouragan. Je franchirais comme la flèche L'étang d'Arta, mouvant miroir, Et le mont dont la cime empêche Corynthe et Mykos de se voir. Comme par un charme attirée, Je m'arrêterais au matin Sur Mykos, la ville carrée, La ville aux coupoles d'étain. J'irais chez la fille du prêtre, Chez la blanche fille à l'œil noir, Qui le jour chante à sa fenêtre, Et joue à sa porte le soir. Enfin, pauvre feuille envolée, Je viendrais, au gré de mes vœux, Me poser sur son front, mêlée Aux boucles de ses blonds cheveux ; Comme une perruche au pied leste Dans le blé jaune ; ou bien encor Comme, dans un jardin céleste Un fruit vert sur un arbre d'or. Et là, sur sa tête qui penche, Je serais, fût-ce peu d'instants, Plus fière que l'aigrette blanche Au front étoilé des sultans.
Text Authorship:
- by Victor Hugo (1802 - 1885), "Vœu", written 1828, appears in Les Orientales, no. 22
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View original text (without footnotes)Confirmed with Oeuvres completes de Victor Hugo, Tome deuxième (Volume 2), Paris, 1843, page 580.
Note: in Bizet and Reber, "zéphir" is spelled "zéphyr" and "Corynthe" is spelled "Corinthe".
1 Reber: "J'irais, je fuirais, je courrais"Researcher for this text: Emily Ezust [Administrator]
7. Le voile  [sung text not yet checked]
La sœur Qu'avez-vous, qu'avez-vous, mes frères ? Vous baissez des fronts soucieux. Comme des lampes funéraires, Vos regards brillent dans vos yeux. Vos ceintures sont déchirées. Déjà trois fois, hors de l'étui, Sous vos doigts, à demi tirées, Les lames des poignards ont lui. Le frère ainé N'avez-vous pas levé votre voile aujourd'hui ? La sœur Je revenais du bain, mes frères, Seigneurs, du bain je revenais, Cachée aux regards téméraires Des giaours et des albanais. En passant près de la mosquée Dans mon palanquin recouvert, L'air de midi m'a suffoquée : Mon voile un instant s'est ouvert. Le second frère Un homme alors passait ? un homme en caftan vert ? La sœur Oui... peut-être... mais son audace N'a point vu mes traits dévoilés... Mais vous vous parlez à voix basse, A voix basse vous vous parlez. Vous faut-il du sang ? Sur votre âme, Mes frères, il n'a pu me voir. Grâce ! tuerez-vous une femme, Faible et nue en votre pouvoir ? Le troisième frère Le soleil était rouge à son coucher ce soir. La sœur Grâce ! qu'ai-je fait ? Grâce ! grâce ! Dieu ! quatre poignards dans mon flanc ! Ah ! par vos genoux que j'embrasse... O mon voile ! ô mon voile blanc ! Ne fuyez pas mes mains qui saignent, Mes frères, soutenez mes pas ! Car sur mes regards qui s'éteignent S'étend un voile de trépas. Le quatrième frère C'en est un que du moins tu ne lèveras pas !
Text Authorship:
- by Victor Hugo (1802 - 1885), "Le voile", written 1828, appears in Les Orientales, no. 11, first published 1829
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