Une tortue était, à la tête légère, Qui, lasse de son trou, voulut voir le pays. Volontiers on fait cas d’une terre étrangère ; Volontiers gens boiteux haïssent le logis. Deux canards, à qui la commère Communiqua ce beau dessein, Lui dirent qu’ils avaient de quoi la satisfaire Voyez-vous ce large chemin ? Nous vous voiturerons, par l’air en Amérique : Vous verrez mainte république, Maint royaume, maint peuple ; et vous profiterez Des différentes mœurs que vous remarquerez. Ulysse en fit autant. On ne s’attendait guère De voir Ulysse en cette affaire. La tortue écouta la proposition. Marché fait, les oiseaux forgent une machine Pour transporter la pèlerine. Dans la gueule, en travers, on lui passe un bâton. Serrez bien, dirent-ils ; gardez de lâcher prise. Puis chaque canard prend ce bâton par un bout. La tortue enlevée, on s’étonne partout De voir aller en cette guise L’animal lent et sa maison, Justement au milieu de l’un et de l’autre oison. Miracle ! criait-on : venez voir dans les nues Passer la reine des tortues. La reine ! vraiment oui : je la suis en effet ; Ne vous moquez point. Elle eût beaucoup mieux fait De passer son chemin sans dire aucune chose ; Car, lâchant le bâton en desserrant les dents, Elle tombe, elle crève aux pieds des regardants. Son indiscrétion de sa perte fut cause. Imprudence, babil, et sotte vanité, Et vaine curiosité, Ont ensemble étroit parentage : Ce sont enfants tous d’un lignage.
La Cigale et le Pot au Lait, 16 mélodies pour voix moyennes d'après les Fables de Jean de La Fontaine
by Isabelle Aboulker (b. 1938)
2. La Tortue et les deux Canards  [sung text not yet checked]
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- by Jean de La Fontaine (1621 - 1695), "La Tortue et les deux Canards", appears in Fables
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Confirmed with Jean de La Fontaine, Fables, Livre X, Bernardin-Béchet, Libraire-Éditeur, 1874, pages 331-332.
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5. La Grenouille qui veut se faire aussi grosse que le Bœuf  [sung text not yet checked]
Une Grenouille vit un Bœuf Qui lui sembla de belle taille. Elle, qui n'était pas grosse en tout comme un œuf, Envieuse, s'étend, et s'enfle, et se travaille, Pour égaler l'animal en grosseur, Disant: "Regardez bien, ma sœur ; Est-ce assez? dites-moi ; n'y suis-je point encore ? - Nenni. - M'y voici donc? - Point du tout. - M'y voilà ? - Vous n'en approchez point." La chétive pécore S'enfla si bien qu'elle creva. Le monde est plein de gens qui ne sont pas plus sages : Tout bourgeois veut bâtir comme les grands seigneurs, Tout petit prince a des ambassadeurs, Tout marquis veut avoir des pages.
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- by Jean de La Fontaine (1621 - 1695), "La Grenouille qui veut se faire aussi grosse que le Bœuf", written 1668, appears in Fables
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- ENG English (Peter Low) , "The frog who wanted to be as big as an ox", copyright © 2022, (re)printed on this website with kind permission
7. Les Loups et les Brebis  [sung text not yet checked]
Après mille ans et plus de guerre déclarée, Les loups firent la paix avecque les brebis. C’était apparemment le bien des deux partis : Car, si les loups mangeaient mainte bête égarée Les bergers de leur peau se faisaient maints habits. Jamais de liberté, ni pour les pâturages, Ni d’autre part pour les carnages : Ils ne pouvaient jouir qu’en tremblant de leurs biens. La paix se conclut donc : on donne des otages ; Les loups, leurs louveteaux ; et les brebis, leurs chiens L’échange en étant fait aux formes ordinaires, Et réglé par des commissaires, Au bout de quelque temps que messieurs les louvats Se virent loups parfaits et friands de tuerie, Ils vous prennent le temps que dans la bergerie Messieurs les bergers n’étaient pas, Étranglent la moitié des agneaux les plus gras, Les emportent aux dents, dans les bois se retirent. Ils avaient averti leurs gens secrètement. Les chiens, qui, sur leur foi, reposaient sûrement, Furent étranglés en dormant : Cela fut sitôt fait qu’à peine ils le sentirent. Tout fut mis en morceaux ; un seul n’en échappa. Nous pouvons conclure de là Qu’il faut faire aux méchants guerre continuelle. La paix est fort bonne de soi, J’en conviens : mais de quoi sert-elle Avec des ennemis sans foi ?
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- by Jean de La Fontaine (1621 - 1695), "Les Loups et les Brebis", appears in Fables
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Confirmed with Jean de La Fontaine, Fables, Livre III, Bernardin-Béchet, Libraire-Éditeur, 1874, page 109.
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9. Le Rat de ville et le Rat des champs  [sung text not yet checked]
Autrefois le Rat de ville Invita le Rat des champs, D'une façon fort civile, A des reliefs d'Ortolans. Sur un Tapis de Turquie Le couvert se trouva mis. Je laisse à penser la vie Que firent ces deux amis. Le régal fut fort honnête, Rien ne manquait au festin ; Mais quelqu'un troubla la fête Pendant qu'ils étaient en train. A la porte de la salle Ils entendirent du bruit : Le Rat de ville détale ; Son camarade le suit. Le bruit cesse, on se retire : Rats en campagne aussitôt ; Et le citadin de dire : Achevons tout notre rôt. - C'est assez, dit le rustique ; Demain vous viendrez chez moi : Ce n'est pas que je me pique De tous vos festins de Roi ; Mais rien ne vient m'interrompre : Je mange tout à loisir. Adieu donc ; fi du plaisir Que la crainte peut corrompre.
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- by Jean de La Fontaine (1621 - 1695), "Le rat de ville et le rat des champs", written 1668, appears in Fables
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- ENG English (Peter Low) , copyright © 2022, (re)printed on this website with kind permission
11. Le Pot de terre et le Pot de fer  [sung text not yet checked]
Le pot de fer proposa Au pot de terre un voyage. Celui-ci s’en excusa, Disant qu’il ferait que sage De garder le coin du feu : Car il lui fallait si peu, Si peu que la moindre chose De son débris serait cause : Il n’en reviendrait morceau. Pour vous, dit-il, dont la peau Est plus dure que la mienne, Je ne vois rien qui vous tienne. Nous vous mettrons à couvert, Repartit le pot de fer : Si quelque matière dure Vous menace d’aventure[1], Entre deux je passerai, Et du coup vous sauverai. Cette offre le persuade. Pot de fer son camarade Se met droit à ses côtés. Mes gens s’en vont à trois pieds Clopin clopant comme ils peuvent, L’un contre l’autre jetés Au moindre hoquet[2] qu’ils treuvent. Le pot de terre en souffre ; il n’eut pas fait cent pas Que par son compagnon il fut mis en éclats, Sans qu’il eût lieu de se plaindre. Ne nous associons qu’avecque nos égaux ; Ou bien il nous faudra craindre Le destin d’un de ces pots.
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- by Jean de La Fontaine (1621 - 1695), "Le Pot de terre et le Pot de fer", appears in Fables
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Confirmed with Jean de La Fontaine, Fables, Livre V, Bernardin-Béchet, Libraire-Éditeur, 1874, pages 154-156.
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12. La Belette entrée dans un grenier  [sung text not yet checked]
Damoiselle belette, au corps long et fluet, Entra dans un grenier par un trou fort étroit : Elle sortait de maladie. Là, vivant à discrétion, La galande fit chère lie, Mangea, rongea : Dieu sait la vie, Et le lard qui périt en cette occasion ! La voilà, pour conclusion, Grasse, maflue, et rebondie. Au bout de la semaine, ayant dîné son soûl, Elle entend quelque bruit, veut sortir par le trou, Ne peut plus repasser, et croit s'être méprise. Après avoir fait quelques tours, C'est, dit-elle, l'endroit, me voilà bien surprise ; J'ai passé par ici depuis cinq ou six jours, Un rat, qui la voyait en peine, Lui dit : Vous aviez lors la panse un peu moins pleine. Vous êtes maigre entrée, il faut maigre sortir. Ce que je vous dis là, l'on le dit à bien d'autres ; Mais ne confondons point, par trop approfondir, Leurs affaires avec les vôtres.
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- by Jean de La Fontaine (1621 - 1695), "La belette entrée dans un grenier", written 1668, appears in Fables
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Researcher for this text: Emily Ezust [Administrator]13. Le Laboureur et ses enfants  [sung text not yet checked]
Travaillez, prenez de la peine : C'est le fonds qui manque le moins. Un riche laboureur, sentant sa mort prochaine, Fit venir ses enfants, leur parla sans témoins. Gardez-vous, leur dit-il, de vendre l'héritage Que nous ont laissé nos parents : Un trésor est caché dedans. Je ne sais pas l'endroit ; mais un peu de courage Vous le fera trouver : vous en viendrez à bout. Remuez votre champ dès qu'on aura fait l'oût[1] : Creusez, fouillez, bêchez ; ne laissez nulle place Où la main ne passe et repasse. Le père mort, les fils vous retournent le champ, De çà, de là, partout ; si bien qu'au bout de l'an Il en rapporta davantage. D'argent, point de caché. Mais le père fut sage De leur montrer, avant sa mort, Que le travail est un trésor.
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- by Jean de La Fontaine (1621 - 1695), "Le laboureur et ses enfants", written 1668, appears in Fables
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Researcher for this text: Emily Ezust [Administrator]14. Le Chêne et le Roseau  [sung text not yet checked]
Le chêne, un jour, dit au roseau: Vous avez bien sujet d'accuser la nature, Un roitelet pour vous est un pesant fardeau; Le moindre vent qui d'aventure Fait rider la face de l'eau, Vous oblige à baisser la tête; Cependant que mon front, au Caucase pareil, Non content d'arrêter les rayons du soleil, Brave l'effort de la tempête. Tout vous est aquilon, tout me semble zéphir, Encore si vous naissiez à l'abri du feuillage Dont je couvre le voisinage, Vous n'auriez pas tant à souffrir, Je vous défendrais de l'orage; Mais vous naissez le plus souvent Sur les humides bords des royaumes du vent; La nature envers vous me semble bien injuste. Votre compassion, lui répondit l'arbuste Part d'un bon naturel; mais quittez ce souci; Les vents me sont moins qu'á vous redoutables, Je plie, et ne romps pas. Vous avez jusqu'ici Contre leurs coups épouvantables Résisté sans courber le dos; Mais attendons la fin. Comme il disait ces mots, Du bout de l'horizon accourt avec furie Le plus terrible des enfants Que le nord eut portés jusque là dans ses flancs. L'arbre tient bon, le roseau plie vent redouble ses efforts, Et fait si bien qu'il déracine Celui de qui la tête au ciel était voisine, Et dont les pieds touchaient à l'empire les morts.
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- by Jean de La Fontaine (1621 - 1695), "Le chêne et le roseau", appears in Fables
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Researcher for this page: John Versmoren15. La Laitière et le Pot au lait  [sung text not yet checked]
Perrette sur sa tête ayant un Pot au lait Bien posé sur un coussinet, Prétendait arriver sans encombre à la ville. Légère et court vêtue elle allait à grands pas; Ayant mis ce jour-là, pour être plus agile, Cotillon simple, et souliers plats. Notre laitière ainsi troussée Comptait déjà dans sa pensée Tout le prix de son lait, en employait l'argent, Achetait un cent d'oeufs, faisait triple couvée; La chose allait à bien par son soin diligent. Il m'est, disait-elle, facile, D'élever des poulets autour de ma maison: Le Renard sera bien habile, S'il ne m'en laisse assez pour avoir un cochon. Le porc à s'engraisser coûtera peu de son; Il était quand je l'eus de grosseur raisonnable: J'aurai le revendant de l'argent bel et bon. Et qui m'empêchera de mettre en notre étable, Vu le prix dont il est, une vache et son veau, Que je verrai sauter au milieu du troupeau? Perrette là-dessus saute aussi, transportée. Le lait tombe; adieu veau, vache, cochon, couvée; La dame de ces biens, quittant d'un oeil marri Sa fortune ainsi répandue, Va s'excuser à son mari En grand danger d'être battue. Le récit en farce en fut fait; On l'appela le Pot au lait. Quel esprit ne bat la campagne? Qui ne fait châteaux en Espagne? Picrochole, Pyrrhus, la Laitière, enfin tous, Autant les sages que les fous? Chacun songe en veillant, il n'est rien de plus doux: Une flatteuse erreur emporte alors nos âmes: Tout le bien du monde est à nous, Tous les honneurs, toutes les femmes. Quand je suis seul, je fais au plus brave un défi; Je m'écarte, je vais détrôner le Sophi; On m'élit roi, mon peuple m'aime; Les diadèmes vont sur ma tête pleuvant: Quelque accident fait-il que je rentre en moi-même; Je suis gros Jean comme devant.
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- by Jean de La Fontaine (1621 - 1695)
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Researcher for this text: Emily Ezust [Administrator]16. Le Cerf se voyant dans l'eau  [sung text not yet checked]
Dans le cristal d’une fontaine Un cerf se mirant autrefois Louait la beauté de son bois, Et ne pouvait qu’avecque peine Souffrir ses jambes de fuseaux, Dont il voyait l’objet se perdre dans les eaux. Quelle proportion de mes pieds à ma tête ! Disait-il en voyant leur ombre avec douleur : Des taillis les plus hauts mon front atteint le faîte ; Mes pieds ne me font point d’honneur. Tout en parlant de la sorte, Un limier le fait partir. Il tâche à se garantir ; Dans les forêts il s’emporte : Son bois, dommageable ornement, L’arrêtant à chaque moment, Nuit à l’office que lui rendent Ses pieds de qui ses jours dépendent. Il se dédit alors, et maudit les présents Que le ciel lui fait tous les ans. Nous faisons cas du beau, nous méprisons l’utile ; Et le beau souvent nous détruit. Ce cerf blâme ses pieds qui le rendent agile ; Il estime un bois qui lui nuit.
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- by Jean de La Fontaine (1621 - 1695), "Le Cerf se voyant dans l’eau", appears in Fables
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Confirmed with Jean de La Fontaine, Fables, Livre VI, Bernardin-Béchet, Libraire-Éditeur, 1874, pages 187-188.
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