Toi, fine fleur de pommier !
Qui t'a donné cette heureuse clarté ?
Ah, je suis l'amante du soleil !

Où as-tu pris cette radiance pourpre
Qui embrase ta fine peau ?
Ah, je suis la jeune mariée du printemps !

Bénie par mon mari le nuage,
Je vis sous la caresse de son souffle
Un court et bienheureux jour de printemps.

Et quand son dernier chaud baiser
Me touche au coucher de soleil,
Alors je chuchote : je t'aime !

Et je me referme et m'incline
Et je jonche sur l'herbe
Ma blanche floraison, ma robe de mariée.1

Marche tranquillement mon amie, je sais que ton cœur pleure
quand nous approchons en silence le rivage des souvenirs.
Pourtant nous retournons continuellement à cet endroit
où le chagrin et le bonheur se sont abîmés en silence.

Sur l'eau du lac repose la main qui éteint tout
et sans bruit se ferme. Et somnolente
une révélation mystique émerge de l'obscurité,
semblable à un beau rêve, comme une lointaine mélancolie

dans ce monde de silence où toutes nos joies et chagrins
sont ensevelis et perdus dans des milliers de nuits.
L'âme des prophètes a aperçu et pressenti ce qu'il contient,
et l'a libéré de son sommeil et exalté le trésor de l'art.

Là voyagent nos morts . En silence, depuis le rivage des ombres,
ils nous envoient des messages que nous ne comprenons pas.
Amie, restons près du rivage du lac un instant 
et abreuvons-nous de sa consolation emplie de mélancolie.

Les frondaisons du pommier
sont emplies de fleurs et flamboient.
De nouveau le ciel passe au bleu
profond, chaud et pur.
Sur les pruniers des champs
bourdonne l'abeille,
lourde de miel et enivrée.
Ah puisse ainsi durer l'été !
Te promènes-tu au long du chemin,
poursuivant quelque rêve ?

Le suave parfum des fleurs
se répand dans l'enclos.
Dans la forêt  lointaine, le coucou
chante tout le jour.
Entends-tu dans le vallon,
où la source claire
glougloute parmi les broussailles,
le chant du rossignol,
la longue course de ses trilles
dan la nuit claire ?

La brise d'ouest bruisse
parmi l'herbe et les blés,
Les ondulations des plaines
promettent de riches charretées.
Les douces ondées du ciel
leur apportent ici et là
une abondante croissance.
Le pollen des fleurs s'exhale,
envoie ses parfums
par-dessus le seigle en fleur.

Ah puisse ainsi durer l'été !
Encore languissant.
Des rêves de beauté s'élèvent
vers les nuages du ciel.
Blancs comme cygne ils flottent
comme une belle parure
dans l'azur profond. --
Toute la terre rêve
à la profondeur du bonheur
Qu'elle ne peut atteindre.

J'avance au soleil derrière ma charrue.
Je fais un signe vers la verte forêt,
Où toi, mon bonheur, tu te caches.
Mon cœur se cache et exulte
Et cache sa béatitude
Jusqu'au coucher du soleil, Jusqu'au coucher du soleil.

Mon bonheur se réveille frais et dispos
Comme l'alouette chantant à l'aube.
Tous les soirs elle se fait belle.
Mais tu te pares seulement pour moi.
Et la béatitude des nuits
Est le secret doré du jour.

[ ... ]

Je laboure la bonne terre.
Mais personne ne voit l'or
Qui se cache en mon cœur.
Je me cache, je te cache,
Je cache notre béatitude,
Jusqu'au coucher du soleil, Jusqu'au coucher du soleil.

La clarté d'or pâle du ciel. La forêt noire et silencieuse,
Et autour de l'allée du jardin les arbres tranquilles et somnolents.
Et la rosée suave et fraîche coule et mouille menton et joues --
Qu'il serait bon, mon âme, d'être ce soir sur le rivage des morts !

Qu'il serait bon, mon âme, si ce soir tu pouvais glisser
d'un coup d'aile rapide et léger vers un blanc océan de lumière !
Et y disparaître dans une lumière calme et dans une paix dorée,
et y mourir -- libérée de tes rêves et de tes souvenirs !

La crique ondule paresseusement et s'étale au soleil.
Des sternes sveltes et blanches  s'y plongent --
Au revoir petit vapeur qui file devant moi,
et salue la belle dame blonde qui m'attend sur le môle.

Et dis-lui que ses yeux, affligés et douloureux,
me poursuivront toujours ! Et demande-leur ce qu'elle veut !
Rapporte-moi s'ils ont pleuré lorsque le bateau aborda !
Et dis-leur que je les embrasse souvent dans mes rêves.1