Mes yeux, mes chères petites fenêtres,
Vous m'avez donné pendant si longtemps une lumière charmante,
Laissant entrer gentiment une image après l'autre ;
Pourtant un jour vous êtes devenus sombres !

Quand un jour les paupières seront fermées,
Vous vous éteindrez, et mon âme aura son repos ;
À tâtons elle quittera ses chaussures de voyage,
Elle s'étendra elle-même aussi dans son cercueil sombre.

Mais on verra deux petites étincelles brillant ici
Comme deux petites étoiles, vues seulement de l'intérieur,
Jusqu'à ce qu'elles faiblissent et meurent aussi
Comme soufflées par le souffle des ailes d'un papillon.

mais je me promène encore dans les champs du soir,
Accompagné seulement par des étoiles filantes :
Buvez, mes yeux, autant que vos cils peuvent contenir,
De l'opulence dorée du monde !

Le soir les couples d'amoureux
Passent lentement dans le champ,
Les femmes défont leurs cheveux,
Les commerçants comptent leur argent,
Les bourgeois inquiets lisent la dernière nouvelle
Dans le journal du soir,
Les enfants serrent leurs petits poings,
Et repus dorment profondément.
Chacun se conforme à la seule vérité,
Observe le sublime devoir,
Nourrisson, bourgeois, couple d'amoureux –
Et pas moi ?

Si ! De mes activités du soir,
Dont je suis esclave,
Le monde ne peut se passer,
Elles aussi ont un sens.
Ainsi, je vais et viens,
Danse intérieurement,
Fredonne les stupides chansons des rues,
Loue Dieu et moi-même,
Bois du vin et rêve
Que je suis un pacha,
Je me fais de la bile,
Souris, bois encore,
Réponds oui à mon  cœur,
(Le matin c'est impossible),
Délire sur d'anciennes peines
En jouant un poème,
Regarde tourner la lune et les étoiles,
Pressens leur sens,
Me sens voyager avec elles,
Peu importe où.

La lune s'est levée,
Les petites étoiles resplendissent
Dans les cieux brillantes et claires ;
La forêt se tient sombre et silencieuse,
Et des prairies monte
La brume blanche et merveilleuse.

Comme le monde est calme
Et dans le voile du crépuscule
Aussi intime et charmant
Qu'une chambre tranquille,
Où loin la misère du jour
Vous dormirez et oublierez.

Voyez-vous la lune qui se tient là ?
Il y a seulement la moitié d'elle à voir
Et pourtant elle est ronde et belle !
Il en est ainsi de beaucoup de choses
Dont nous nous moquons pleins de confiance,
Parce que nos yeux ne les voient pas.

Nous fiers enfants de l'homme
Sommes de vains, pauvres pécheurs
Et nous ne savons rien bien ;
Nous filons des tissus en air
Et cherchons beaucoup d'art
Et nous nous éloignons du but.

Dieu, fais-nous voir notre salut,
Fais que nous ne croyons à rien d'éphémère
Et que nous ne nous réjouissions pas de futilités !
Fais que nous devenions simples,
Et devant toi ici sur terre
Que nous devenions pieux et joyeux comme des enfants !

            *  *  *

Puisses-tu, à la fin, sans affliction
Nous emporter de ce monde
À travers une douce mort,
Et quand tu nous auras emportés,
Fais que nous arrivions au ciel,
Toi, notre Seigneur et notre Dieu !

Inclinez-vous,frères,
Devant le nom de Dieu !
Froide est la brise du soir,
Épargne-nous, Dieu, ton châtiment
Et fais que nous dormions en paix
Et aussi notre voisin malade !